Vieilles peaux, de Anna Rozen

rosen.jpgCressida Bloom est écrivain. Au bord de la soixantaine, forte de ses succès, elle commence à  songer à  la postérité. Il lui faut trouver dès à  présent un passeur de mémoire, un archiviste pour classer tous ses carnets, un dépositaire de ses écrits, une personne de confiance. Le casting est lancé. Cressida est exigeante, sélectionne avec ardeur les candidats (que des hommes, jeunes, plutôt intelligents, au physique agréable) mais n’est pourtant pas récompensée de ses tris. Elle biffe, triture, marmonne, fait trois pas en arrière, se fourvoie. Les candidats ne lui apportent qu’une nouvelle source d’angoisse et de remise en question. Que diable !… On se gausse de cette »vieille peau » excentrique (vous avez dit »vieille peau » ?) en pensant très fort aux auteurs britanniques à  l’humour pincé et poilant (cf. PG Wodehouse, Saki, etc.).

Changement de registre avec l’histoire intitulée »Marthe et Fernand » qui décrit le quotidien d’un couple marié depuis une quarantaine d’années, acteur de leur propre mise en scène réglée au millimètre près. C’est un portrait qui donne le frisson. Moi j’y ai reconnu mes parents et, quelque part, cela m’a fait de la peine. D’ailleurs, l’auteur a certainement pressenti »le flip du pathos » car elle termine avec prestidigitation son histoire sur un numéro pour rire jaune. Un cercle invisible est en place, le couple tue l’amour, dit-on. Et si toute jeune épouse est vouée à  la destinée de »veille peau » vous en pensez quoi ? Sauve qui peut ! ?

Pour boucler ce livre hors normes, Anna Rozen décide de s’atteler à  un exercice de style un peu déconcertant.. »C’est à  vous que j’écris, oui, vous. Voilà  ce qui ne va pas : je ne suis pas moi. Je ne suis jamais moi. Je vous écris, je me démène, mais ça n’est pas moi » Qui est-elle donc, alors ? Une fille qui pleure dans le métro, un chat perdu sur les affiches placardées aux arbres, une employée de bureau, une postière, une fille grosse, une gravure de mode, une sandale neuve, un paréo rose, une baguette tradition, une fan perdue, un auteur reconnu, l’odeur de Colette, Françoise Sagan ou A.L. Kennedy brisant du sucre dans sa cuisine… Il y a une succession de chapitres courts sur les pérégrinations de l’auteur, »mais au bout de cinquante pages de folle envolée, les histoires que j’écris m’embêtent ». Oui, un peu. Cette dernière partie est à  lire à  petites doses, en picorant ci ou là  toutes ces peaux mortes. Parce que, finalement, on en revient toujours là , à  cette histoire de »peau » celle qui nous couvre, qui nous camoufle, les peaux neuves, les vieilles peaux… nous sommes toutes à  la même enseigne : que des toquées !

Stéphanie Verlingue

4.gif

Vieilles peaux, de Anna Rozen
Editeur : Le Dilettante – 224 pages, 16€¬
Publication : 02/03/2007
Format : 12×18 cm
Couverture : Dupuy-Berberian