Paranoid Park

Le dernier film de Gus Van Sant s’échappe du mausolée cinématographique auquel on l’abandonnerait, consciemment, à  une gloire rigide comme un cadavre : celle du film qui répond à  maîtrise stylistique d’un auteur, celle qui détermine la filiation aux autres films. Il est évident que »Paranoid Park » regroupe ces qualités, mais tentons de poser un regard indéterminé sur lui.

Alex, jeune skateur détaché, tue accidentellement un garde ferroviaire. Un policier mène son enquête au lycée. Le garçon, qui ne s’est pas rendu, semble de plus en plus affecté par ses remords…

La grâce de »Paranoid Park » tient en échec la mort, sujet pourtant répété dans les derniers film de Van Sant : préparation à  cette mort, moment suspendu mais happé par le vide laissé par le détachement d’un corps trop lourd à  supporter (suicide dans »Last days » ou mort du compagnon dans »Gerry »…) »Paranoid Park » se concentre aussi sur ce moment qui précède la mise à  mort. Or, celle-ci ne vient pas conclure le récit, matérialisant ainsi la consistance charnelle d’un corps appelé à  croupir sur un sol prisonnier. Le film montre comment ici, le corps se doit de muter, celui d’un jeune adolescent, fan de skateboard, essayant de se débarrasser de la gravitation ennuyée -ce qu’on pourrait appeler le  » terre à  terre  » adulte- pour atteindre un autre  » niveau  » . Irrémédiablement il basculera, malgré lui, dans cet âge des responsabilités par le meurtre involontaire d’un homme. Mais le film esquisse ces derniers envols, ceux d’un skateboarder prêt à  décoller pour ne plus retomber, adolescent traversé par une version moderne d’Icare.

Mais sa chute, lente, se tortille en arabesque autour de l’enjeu du film : ses aveux, synonymes de ce passage à  cet âge nouveau, qui lui semble si abstrait, si inconfortable. Le cadre conditionne Alex à  une douce camisole, par la courte profondeur de champs qui couvre d’un voile flou ses parents. Autour de son corps, un petit espace où rayonne l’aura protectrice de cet environnement insane. Cette pelote enroule le garçon dans ce désir félin de se recroqueviller, innocente et rêveuse existence de velours qui a choyée notre enfance. Gus Van Sant approche son objectif avec beaucoup plus de toucher qu’auparavant, pour sensibiliser sa caméra au ronronnement de jeune garçon. Plan rapprochée de nuques et de joues. Les yeux à  demi-plissés, il voit le monde à  travers d’amples volutes de souvenirs, entre fantasmes à  roulettes (ces belles séquences en 8mm) et flash-back d’une mémoire coupable. Ce montage en bandelettes, se superposant à  sa réalité, donne le sentiment inexorable de le tirer de la torpeur adolescente, cet état désirant s’abreuver de l’obscurité, pupilles dilatées, absence au monde.

Petit à  petit, chaque séquence se joue à  nouveau d’un autre point de vue ou concentrée sur un moment différent. Replongée comateuse sur le territoire mémoriel. Répétition, prolongement, redéfinition. Ce petit manège de matières différentes sonne comme la ritournelle intime d’une décision repoussée. Pourquoi et comment avouer ? Les déplacements  » Van Santien  » se font plus souvent de face : Alex marche (toujours à  cette distance de la caméra, spécifique à  G. Van Sant), mais de cette manière, il ne donne pas l’impression d’avancer, mais plûtot de coller son corps à  une surface, caméra et personnage au même roulement qui voit défiler sur le coté ce diaporama myope. Alex se situe alors toujours dans cet entre-deux anesthésiques de la culpabilité. Il évolue dans une sorte de temps immobilisé, jusqu’à  l’acceptation de sa faute, qu’il considérera par la matérialisation écrite du souvenir, tel un acte délibéré de responsabilisation. Enfin libéré, il peut laisser s’envoler ces lignes dans le brasier exultant ses maux.

Maxime Cazin

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Drame américain de Gus Van Sant – 1 h 25 – Sortie le 21 octobre 2007
Avec Gabriel Nevins, Jake Miller, Daniel Liu…

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www.paranoidpark-lefilm.com

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