Les Toits de Paris

En ces temps de jeunisme obligé, on assiste avec plaisir à  la naissance de films faisant de (très) vieux leur centre d’intérêt. Après le formidable Faut que ça danse de Noémie Lvovsky, Hiner Saleem, cinéaste kurde irakien déjà  remarqué pour Vodka Lemon (2003) et Kilomètre zéro (2005) campe ses caméras en plein Paris pour esquisser le croquis de quelques êtres humains, gens de peu en plein mal-être social.

Marcel et Amar sont amis, tous les deux très âgés, et vivent dans des mansardes mitoyennes sous les combles. Leur existence est réglée comme du papier à  musique, de la fréquentation de la piscine chaque lundi – plus pour se laver que pour se baigner – à  celle du café du coin où Thérèse leur sert une portion de spaghettis bolognaise, avec rab conséquent de parmesan pour Marcel. Mais, lorsque Amar annonce sa décision de retourner au pays, que Bruno, le voisin drogué meurt d’une overdose, que le café où sert Thérèse est mis en vente, l’univers de Marcel se rétrécit. Commencé dans un été caniculaire, Les Toits de Paris se poursuit sous les orages et les bourrasques, comme si la météo se mettait au diapason du déclin de Marcel. Confronté à  sa solitude égayée par les visites de Thérèse et de Julie, la petite amie de Bruno, Marcel se recroqueville de plus en plus, courbant l’échine et promenant un regard hébété à  la limite de l’égarement.

Aussi éloigné de la sociologie que du pamphlet, Hiner Saleem construit un superbe poème cinématographique jouant sur l’émotion à  fleur de peau. Très avare en dialogues, la communication passe essentiellement par les regards avant que l’expression de Marcel se résume à  une succession de plaintes et de gémissements. L’enfilade des chambres de bonnes – déjà  en piteux état sous le soleil estival – se transforme en une sorte de vaisseau fantôme dans lequel Marcel recouvert d’une longue cape noire erre comme un Nosferatu en fin de vie.

Délaissé par son fils Vincent, Marcel se réfugie dans les rêves et s’imagine dansant ou parcourant les rues parisiennes en compagnie de Thérèse. Malgré quelques défauts visant à  en rajouter (le voisin camé, la décrépitude de Marcel et l’oiseau symbolisant l’âme du disparu), Les Toits de Paris bouleverse par son traitement épuré et sensible. Bien sûr, l’interprétation magistrale de Michel Piccoli – prix d’interprétation au dernier festival de Locarno – y fait beaucoup : sans jamais trop en faire, il suggère avec sa majesté et sa mélancolie coutumières la terrible épreuve de terminer seul, en tentant de conserver sa dignité. L’économie de moyens sert ici paradoxalement ce très beau film dont la grâce et la tendresse vous serrent durablement le coeur.

Patrick Braganti

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Les Toits de Paris
Film français de Hiner Saleem
Genre : Drame
Durée : 1h38
Sortie : 21 Novembre 2007
Avec Michel Piccoli, Maurice Bénichou, Mylène Demongeot, Marie Kremer