Cloverfield

cloverfield.jpgAttention, ovni. Démarrant avec un procédé osé et novateur, le méconnu Matt Reeves (aidé, on s’en doute, par J.J. Abrams qui, officiellement, gère la production) signe là  un film-catastrophe qui risque bien de rester dans les annales. Caméscope à  l’épaule, embarcation en subjectif, absence de musique (sauf dans le générique de fin), acteurs inconnus, plans évités de la menace qui plane sur ce New York en feu (et pour entretenir le mystère jusqu’au bout, dans un superbe plan)… bref, malgré une forte envie de film grand public, »Cloverfield » dont le titre ne fût officiel qu’une semaine avant sa sortie, et dont tout mystère a été gardé pour la sortie, est une expérience conceptuelle du cinéma. Et, à  condition de se laisser malmener les yeux durant 1h30 (en temps réel), le résultat est tout bonnement spectaculaire.

Mais ce qui étonne le plus (au-delà  de la précision cachée de l’ensemble, car la caméra bouge, voltige, dérape, mais laisse au final une sensation d’inconfort paradoxalement maîtrisée) c’est la façon dont sont gérés les effets spéciaux, impressionnants. Le film a beau rester dans son parti pris du début à  la fin (aucune tricherie, on est en caméra subjective de A à  Z), dans un mouvement qui, sur le moment, peut paraître incohérent avant d’être prenant, toutes les scènes sont, au final, magnifiques, viscérales, dantesques. Comme un magma en fusion permanente, une lave qui s’écoule dans des rues new-yorkaises, le réalisateur filme à  merveille cette idée totalement novatrice et profonde d’une vision de cinéma. Idée car le film remet en cause des questions artistiques importantes : le choix de tout montrer, ou pas (car ici le procédé, vous l’aurez bien compris, ne laisse guère le choix, malgré quelques astuces de plans fixes barrant toute précision du cadre – mais il faut tout de même bien préciser que la violence est sans cesse évitée car tout va trop vite, et d’ailleurs très peu de sang apparaît à  l’écran ; c’est plutôt l’angoisse qui nous est retransmise), le choix d’utiliser ‘un’ ou ‘des’ personnages comme point principal du film (là  encore, aucun choix, puisque l’on est en temps réel)… et évidemment, »Cloverfield » laisse planer les ombres et fantômes de la terreur et des traumatismes post-11 Septembre.

L’ironie dévastatrice du réalisateur rend le film encore plus saisissant, car si la menace invisible qui règne sur la ville sera apte à  rappeler beaucoup de choses, il n’oublie pas les symboles ironiques (les deux grandes tours penchées l’une contre l’autre). On peut aussi voir dans tout cela, à  la rigueur, un discours sur le problème que pose l’image dans notre monde, sa puissance, le voyeurisme qu’elle a tendance à  imposer, ses mensonges ; ici, aucune fioriture, tout est filmé sur le moment, et ce procédé procure au film une incroyable sensation d’immersion, au plus près de l’action et de l’horrifiant drame qui se produit, renforcée par de très efficaces acteurs dont les cris stridents résonnent encore longtemps dans les oreilles. Jouant sur l’impact de l’action, le réalisme du moment dans un immense effet d’embarquement, »Cloverfield » vise dans le mille, dans l’apocalyptique qui vient des tripes, à  des années lumières des films d’action bêtas et dénués d’originalité. Pourtant, il faut avouer que de scénario, nous ne voyons que de maigres dialogues, et que, objectivement, tout cela n’a rien d’original. Toute est dans la manière, qu’il s’agisse du rythme, de l’intérêt, des questionnements, de la démarche d’un quelconque directeur de la photographie (l’image est parfaite, ni trop belle ni trop laide, parfaitement adaptée au matériau, avec ce qu’elle doit contenir d’abstraction), ou de la réussite des effets spéciaux.

Avec un caméscope, et évidemment de grosses retouches derrière, Matt Reeves signe un film monumental, un futur classique à  l’action intimiste, ou plutôt minimaliste si le terme peut s’approprier un peu mieux, flanqué de pures scènes de trouilles, et de séquences déjà  immortelles, comme celle dans la bouche de métro, ou bien encore l’immense retrouvaille dans le ‘building de Pise’. Peut-être regrettera-t-on de cette masse cyclonique qui franchit une étape dans le cinéma et ses effets spéciaux, son inutile couche de fausses fins, mais c’est si peu comparé à  l’ampleur incalculable du résultat, que l’on zappe rapidement pour se focaliser sur la fascinante réussite technique du film, et les milles questionnements qu’il ne peut s’empêcher d’étaler ; »Cloverfield » ou le renouveau du film-catastrophe, et, d’une certaine manière, du cinéma tout court.

Jean-Baptiste Doulcet

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Cloverfield
Film américain de Matt Reeves
Genre : film Science-fiction / catastrophe
Durée : 1h30
Sortie : 06 Février 2008
Avec Michael Stahl-David, Lizzy Caplan, Jessica Lucas…