Shotgun Stories

aff film_4.jpgMême s’il s’agit d’un scénario original – et non de l’adaptation d’un roman – comment ne pas voir dans ce premier film remarquable l’ombre tutélaire des grandes plumes américaines, de Faulkner à  Larry Brown, en passant par Carver ou Cormac McCarthy. Ce qui, du coup, fait de ce Shotgun Stories une oeuvre bien plus passionnante que la boursouflure virtuose et vaine commise il y a peu par les frères Coen.

En plein Arkansas rural, sous un soleil de plomb qui brûle les terres et avachit les âmes, trois frères désignés par ordre d’apparition : Son, Boy et Kid mènent une existence de travailleurs miséreux à  la limite de la marginalité : la femme de Son vient de repartir chez sa mère, Boy vit à  l’écart dans un van pourri et Kid sous une tente igloo au milieu de la pelouse calcinée de la baraque de son frère aîné. Trois tranches de vies qui, en quelques tableaux à  peine esquissés, en disent beaucoup d’un pays, et plus précisément de ses états sudistes et centraux, terres d’élection d’une génération de laissés-pour-compte.
Cette poisse, qui leur colle à  la peau et leur fait mesurer la vacuité de leur vie, va prendre une autre dimension en en révélant les sources lorsque les trois frères apprennent la mort de leur père. Un père alcoolique qui les a abandonnés aux mains d’une mère haineuse et s’en est allé refaire sa vie en parfait catholique rangé quelques kilomètres plus loin, en y refondant une famille composée de quatre fils.

L’enterrement fait ainsi resurgir une querelle familiale entre deux fratries, version revisitée de la légende qui opposa Horaces et Curiaces. Shotgun Stories est aussi une réflexion sur le processus de la vengeance, force destructrice qui s’auto-génère et se réactive dans la perpétration de ses méfaits. Dans cette volonté d’en découdre, les trois frangins issus de la première union s’emploient à  retrouver une espèce de dignité mise à  mal par une existence médiocre, d’autant plus si elle est comparée à  la relative aisance des quatre autres frères, exploitants agricoles à  leur compte.
Shotgun Stories, tourné en cinémascope qui confère aux paysages de champs de coton et de terres brûlées une dimension quasi élégiaque, distille à  la fois une angoisse croissante – les bruits de moteur semblent toujours annonciateurs de mauvaises nouvelles – et une mélancolie tenace.
Tourné à  l’économie en 21 jours, le film n’en est pas moins un magistral coup d’essai où les références littéraires et cinématographiques, tant modernes que classiques, sont pleinement assumées. Jeff Nichols, cinéaste culotté et prometteur, modernise sans affèteries tapageuses le motif de la vendetta. Une excellente surprise à  découvrir.

Patrick Braganti

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Shotgun Stories
Film américain de Jeff Nichols
Genre : Drame
Durée : 1h32
Sortie : 2 Janvier 2008
Avec Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow Jacobs