Le libre arbitre

livrearbistre.jpg†œUn coup de hache dans un lac gel醝. Cette définition que donnait Friedrich Nietzsche d’un bon livre s’applique tout à  fait au film de son compatriote, Mathias Glasner : »Le libre arbitre ».
Réponse 70 ans plus tard à  M le maudit, le libre arbitre est celui qu’a entre ses mains, Théo, violeur récidiviste, qui sort de l’enfermement médical après neuf ans. (Le film s’ouvre sur le viol, filmé en sépia, d’une cycliste, victime du défoulement de Théo, réprimandé dans la cantine où il travaillait).
Après les recommandations des psychiatres, et d’un brave type qui gère une maison de réinsertion plutôt libre (chaque pensionnaire a sa chambre), Théo tente de contrôler ses pulsions en faisant de la musculation, en trouvant un travail (dans l’imprimerie) et en évitant comme la peste la vision des femmes.
Il est son propre censeur, essayant de balayer sa monstruosité passée par une quasi virginité, quitte à  se branler sur l’écran télé devant un porno. Sa quête de pureté va trouver sur sa route l’aide inattendue d’une jeune femme, Nettie (le cinéaste a t.’ il choisi ce prénom pour souligner la pureté de son héroîne ?), la fille de son employeur. Une fille mal à  l’aise avec les hommes, et qui, vivant sous le même toit que son père, décide à  27 ans de s’émanciper. Ce qui l’amène à  couper les ponts, à  emménager seule, et à  se lancer dans l’univers de la restauration (elle partira en Belgique francophone étudier la chocolaterie).

Mélange de braise et de feu, Théo et Nettie vont commencer à  s’éviter (†œTu sais, je n’aime pas les hommes† -†Moi non plus, je n’aime pas les femmes†) avant finalement de se mettre en couple. Chacun laisse tomber ses barrières et accepte de se fondre dans le quotidien de l’autre. Mais un détail alerte le spectateur : la merveilleuse déclaration de la jeune femme sur le balcon de leur nouvel appartement (†œJe suis heureuse de m’entendre te dire je t.’aime†) n’obtient pas de réponse de Théo. On sent ce dernier toujours engoncé, portant un costume de passé trop lourd à  porter. Gardant le contact avec un ancien co-locataire, il lui dit au téléphone : †œJe sens que je vais re-craquer, que quelque chose va se passer†.
Et c’est finalement une babiole qui va (re)mettre le feu aux poudres et relancer la machine guerrière du violeur en série. Nettie -transfigurée par sa première union avec un homme- appelle Théo pour le prévenir que †œCe soir elle rentrera tard† à  cause du pot d’adieu d’un collègue. Jaloux, craintif, Théo part l’observer et ne supporte pas de voir sa compagne au milieu d’autres hommes. Nous, nous n’avons rien vu d’autre qu’une soirée arrosée, lui a vu l’horreur d’une perte possible. Même infondée. Le soir même, il attaquera une autre femme dans un parking et la violera.

l’ampleur du »Libre arbitre » vient alors du fait que, une fois ses bases posées (la rédemption et le renouvellement de notre existences sont t.’ ils possibles ?), il ouvre sur un dernier tiers où le spectateur voit s’effilocher sous ses yeux tous les clichés habituels de la guérison.
On pense qu’après avoir été abandonnée, jetée, frappée par son homme, Nettie va vouloir se venger ? Faux. Elle ira même jusqu’à  rencontrer l’une des anciennes victimes de Théo. Séquence saisissante. La femme pense que Nettie est une des autres victimes de Théo, venue chercher de la compassion auprès d’une autre femme. Mais Nettie n’accable pas Théo. Elle cherche juste à  le comprendre, à  le sauver, car elle l’aime toujours. La femme violée ne peut l’admettre, entraîne Nettie dans les toilettes du bar, et la viole avec le nettoyeur WC…
Heureusement, à  la différence de certains voyeurs professionnels, Glasner sait où s’arrêter, quelles images ne pas montrer. Ce qui renforce l’hypnose morale qui s’empare de nous. Où est le vrai, le faux, le bien, le mal ? Théo endosse si bien le pire que Nettie veut lui apprendre le meilleur.
Elle le poursuivra jusqu’à  une plage, face à  l’hôtel où Théo -redevenu nomade et incontrôlable- a élu domicile. Elle court vers lui, l’enlace. Elle voit la lame de rasoir que Théo tient dans ses mains et qu’elle avait aperçue sur la baignoire de sa chambre d’hôtel, quand elle l’espionnait. Elle lui conjure de rester en vie, il se coupe méthodiquement les veines…

Comme si la nature avait organisé un plan plus grand que les humains, Nettie ne cherche pas de secours, ni n’essaie de faire cesser le sang. La fatalité plane.
Elle hurle, tenant dans ses bras, l’homme qui a fait tellement de mal et surtout qui n’ayant PAS PU SE MODIFIER, a décidé de s’auto-supprimer. Il ne passera pas par les tribunaux populaires qui avaient réglé son compte au violeur de »M le maudit » mais règle lui même son propre sort. Les hurlements déchirants de Nettie laissent place au générique de fin (en surimpression sur les images qui continuent de défiler sur cette plage entre chien et loup) et une sensation de paix s’installe. De paix mortelle, mais de paix.

Sociologiquement, on mesure le chemin parcouru. Dans le temps d’abord, car à  la vindicte populaire d’autrefois fait place une volonté sociale d’aider les malades sexuels. C.’est la fameuse †œcamisole chimique† évoquée par les médecins et qui dans certains cas est une bonne évolution. Dans l’espace ensuite, car on imagine mal un tel film autre qu’Européen, voire même tourné ailleurs qu’en Europe centrale, en tous cas en 2008. Les cinématographies qui †œreviennent† (Allemagne, Roumanie) semblent n’avoir que faire de la préciosité formelle qui innerve tellement le cinéma occidental que ce dernier en oublie qu’un film doit avoir un sens, et une vérité.

De même qu’il y a deux femmes dans chaque femme, il y a deux films dans Le libre arbitre. En ce sens, la séquence située au milieu du film (et on jurerait que le film va s’arrêter sur ce sommet !) est très révélatrice : Théo, que l’on sent presque guéri, a préparé une surprise à  Nettie. Dans une église, une chanteuse, postée en hauteur près de l’orgue, chante l' »Ave Maria » la musique préférée de Nettie.
Alors, acceptons la douleur d’une autre fin, celle du hurlement final de Nettie face à  son amant mort, et voyons dans Le Libre arbitre le »Mort à  Venise » d’aujourd’hui. La femme et le violeur ayant remplacé le vieil homme et l’adolescent…

Pierre Gaffié

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Le Libre arbitre
Film allemand de Matthias Glasner
Titre original : Der freie Wille
Genre : Drame
Durée : 2h 48min
Date de sortie : 30 Janvier 2008
Avec Jürgen Vogel, Sabine Timoteo, Manfred Zapatka…


15 thoughts on “Le libre arbitre

  1. Bonjour,
    Je pense que la citation qui ouvre votre article est fausse.
    Le véritable texte est celui-ci :
    « Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ».
    Le mot ‘en’ est à mon avis très important… Cette phrase est régulièrement mise à mal un peu partout et notamment sur internet. D’autre part, elle n’est pas de Nietzsche mais bien entendu de…Kafka.
    Je n’ai pas lu la suite de l’article…

  2. Bonjour,
    Je pense que la citation qui ouvre votre article est fausse.
    Le véritable texte est celui-ci :
    « Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ».
    Le mot ‘en’ est à mon avis très important… Cette phrase est régulièrement mise à mal un peu partout et notamment sur internet. D’autre part, elle n’est pas de Nietzsche mais bien entendu de…Kafka.
    Je n’ai pas lu la suite de l’article…

  3. Bonjour,
    Je pense que la citation qui ouvre votre article est fausse.
    Le véritable texte est celui-ci :
    « Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ».
    Le mot ‘en’ est à mon avis très important… Cette phrase est régulièrement mise à mal un peu partout et notamment sur internet. D’autre part, elle n’est pas de Nietzsche mais bien entendu de…Kafka.
    Je n’ai pas lu la suite de l’article…

  4. Bien que possédant une licence de Philosophie, je n’ai pas détecté cette citation de Nietzsche dans mes archives, mais dans un interview de Peter Gabriel, qui tentait de donner une comparaison avec ce que devait être de la bonne musique. Cette citation a d’ailleurs été reprise dans un CD-Rom très sérieux (« Eve ») et je pense donc que le staff de Gabriel et de Real World a du bien vérifier ses sources.
    Je me suis penché sur Kafka mais n’ai pas trouvé cette phrase, dont il se peut d’ailleurs très bien qu’il l’ait soit chipée à Nietzsche, soit adaptée. Ne dit t’on pas que les grands esprits se rencontrent, même autour d’un lac gelé ?

    Pierre GAFFIÉ

  5. Bien que possédant une licence de Philosophie, je n’ai pas détecté cette citation de Nietzsche dans mes archives, mais dans un interview de Peter Gabriel, qui tentait de donner une comparaison avec ce que devait être de la bonne musique. Cette citation a d’ailleurs été reprise dans un CD-Rom très sérieux (« Eve ») et je pense donc que le staff de Gabriel et de Real World a du bien vérifier ses sources.
    Je me suis penché sur Kafka mais n’ai pas trouvé cette phrase, dont il se peut d’ailleurs très bien qu’il l’ait soit chipée à Nietzsche, soit adaptée. Ne dit t’on pas que les grands esprits se rencontrent, même autour d’un lac gelé ?

    Pierre GAFFIÉ

  6. Bien que possédant une licence de Philosophie, je n’ai pas détecté cette citation de Nietzsche dans mes archives, mais dans un interview de Peter Gabriel, qui tentait de donner une comparaison avec ce que devait être de la bonne musique. Cette citation a d’ailleurs été reprise dans un CD-Rom très sérieux (« Eve ») et je pense donc que le staff de Gabriel et de Real World a du bien vérifier ses sources.
    Je me suis penché sur Kafka mais n’ai pas trouvé cette phrase, dont il se peut d’ailleurs très bien qu’il l’ait soit chipée à Nietzsche, soit adaptée. Ne dit t’on pas que les grands esprits se rencontrent, même autour d’un lac gelé ?

    Pierre GAFFIÉ

  7. Un immense film, qui est devenu un choc retrospectif pour moi. Je ne voulais pas y aller, en raison de la longueur, mais vous avez su trouver les mots. Reste une question : comment se remettre d’un tel choc visuel, et du message (des messages qu’il contient)…

  8. Un immense film, qui est devenu un choc retrospectif pour moi. Je ne voulais pas y aller, en raison de la longueur, mais vous avez su trouver les mots. Reste une question : comment se remettre d’un tel choc visuel, et du message (des messages qu’il contient)…

  9. Un immense film, qui est devenu un choc retrospectif pour moi. Je ne voulais pas y aller, en raison de la longueur, mais vous avez su trouver les mots. Reste une question : comment se remettre d’un tel choc visuel, et du message (des messages qu’il contient)…

  10. Quel dommage que ce film ne soit plus à l’affiche. C’était le choc de ce début d’année.
    Monique.

  11. Quel dommage que ce film ne soit plus à l’affiche. C’était le choc de ce début d’année.
    Monique.

  12. Quel dommage que ce film ne soit plus à l’affiche. C’était le choc de ce début d’année.
    Monique.

  13. Je rentre d’Allemagne où j’ai pu voir ce film en DVD (toujours pas sorti apparemment en France). C’est un choc au point que je n’ai pas pu parler (même avec des amis) après la projection. Je trouve que la phrase de l’article : « Un homme qui n’a pas pu se modifier va se supprimer » résume le propos de Glasner et surtout sa morale. Aujourd’hui les occidentaux copient de plus en plus les Asiatiques en ce qui concerne le code de l’honneur. Voir (dans un tout autre genre) les suicides de banquiers avec la crise. Ce film est à Voir !!!
    Marianne, Toulon

  14. Je rentre d’Allemagne où j’ai pu voir ce film en DVD (toujours pas sorti apparemment en France). C’est un choc au point que je n’ai pas pu parler (même avec des amis) après la projection. Je trouve que la phrase de l’article : « Un homme qui n’a pas pu se modifier va se supprimer » résume le propos de Glasner et surtout sa morale. Aujourd’hui les occidentaux copient de plus en plus les Asiatiques en ce qui concerne le code de l’honneur. Voir (dans un tout autre genre) les suicides de banquiers avec la crise. Ce film est à Voir !!!
    Marianne, Toulon

  15. Je rentre d’Allemagne où j’ai pu voir ce film en DVD (toujours pas sorti apparemment en France). C’est un choc au point que je n’ai pas pu parler (même avec des amis) après la projection. Je trouve que la phrase de l’article : « Un homme qui n’a pas pu se modifier va se supprimer » résume le propos de Glasner et surtout sa morale. Aujourd’hui les occidentaux copient de plus en plus les Asiatiques en ce qui concerne le code de l’honneur. Voir (dans un tout autre genre) les suicides de banquiers avec la crise. Ce film est à Voir !!!
    Marianne, Toulon

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