Enfances

aff film_14.jpgMetropolis, Citizen Kane, Playtime, La grande illusion, Psychose et Sonate d’automne n’auraient-ils pas été écrits par des enfants? De toute cette profondeur qui les anime, n’est-il pas de premier ordre que la simplicité et l’innocence de l’enfance, la rage du passé et des souvenirs? N’est-ce pas de là  que naissent les projets les plus géniaux et aboutis? En partant de cette idée, sept réalisateurs ont tenté de mettre en scène l’enfance de six des plus grands noms de l’histoire du cinéma (parmi tant d’autres, certes).
Lang, Welles, Tati, Renoir, Hitchcock ou Bergman. Evidemment il y a un manque d’unité car l’une des réalisations ne sera jamais au niveau de l’autre, mais une certaine cohérence s’établit tout de même car, par six styles différents dépeignant eux-même six autres styles, il y a un dialogue instauré qui tient du langage universel, celui de l’art. Avec comme point de départ la description d’une enfance pour expliquer le pourquoi d’une telle oeuvre bien plus tard, les sept jeunes réalisateurs et réalisatrices signent un film qui se reflète dans sa façon de penser le cinéma comme une machine personnelle qui crée l’universel, la somme de toutes les angoisses, de toutes les frustrations et de tous les désastres vécus. Et l’originalité du projet est heureusement aidée par la rythmique quasi-identique de chaque court, l’excellence de tous les jeunes acteurs, et cet arrière-goût émouvant d’une enfance qu’il n’est plus permis de vivre.

Le premier segment, traitant de l’antisémitisme dont a souffert Lang, est une belle oeuvre humaine, ample, un peu démonstrative mais empreinte d’un charme esthétique indéniable. Le Welles de Le Besco, par contre, peine à  trouver le bon ton ; le scénario se dirige à  tâtons, la tentative de reconstitution d’une demeure des années 1920 en Amérique touche à  la catastrophe, et surtout, il y a une froideur qui immobilise toute envie de faire partager chaleureusement du cinéma.
Tati, lui, a eu le droit à  bien mieux ; burlesque, ce court-métrage se basant sur son incroyable grandeur trouve un style amusant et rétro, à  mi-chemin entre du Tati donc, et du Buster Keaton (avec le mélange langue française/langue anglaise). On peut toutefois reprocher à  la caméra de souvent forcer le décalage établi entre le geste et le décor, malgré des cadrages magnifiques.
Puis vient Renoir. A moitié réussi, l’essai parvient à  restituer le charme de l’enfance simple et belle, mais le discours s’alourdit souvent, usé par des symboles épais et une finalité moralisatrice discutable. Mais la mise en scène est très belle, et Clotilde Hesme, décidemment la meilleure actrice de sa génération!
Animé par le désir d’être autre chose qu’une bête qui obéit, le petit Hitchcock, quant à  lui, est un garçon sage, fascinant et fasciné, démoli par le rôle de sa mère, figure surnaturelle qui aurait bien quelque chose du Norman Bates de Psychose si elle n’était pas si fadement caricaturée par Margot Meynard. Certes, il y a un peu trop une tendance ici à  retourner vers la technique d’Hitchcock pour imager une enfance qui aurait peut-être peiné à  prendre forme par le biais d’un travail purement personnel (on retrouve beaucoup dans les éclairages du noir et blanc), mais cet exercice de style réussit parfaitement à  intégrer dans son esthétique ultra-soignée une angoisse latente en rapport avec le travail du maître.
Enfin, Bergman prend vie dans une maison suédoise où les personnages n’ont que vaguement l’air suédois. L’audace de ce segment, et probablement aussi son défaut, est de faire de la figure qu’il image un personnage innocent de par son âge, mais quasiment criminel. Sous prétexte d’expliquer plus ou moins pourquoi Bergman filme la dureté des liens familiaux dans son oeuvre, le réalisateur tente d’asperger son film d’une histoire sombre, abordée sous l’angle de la comédie dramatique, mais ne parvient que très rarement à  modeler une ambiance stressante qui puisse rendre l’échelle de la folie (si c’est bien d’une folie qu’il s’agit).

Voilà  six cinéastes qui ont grandi, qui ont fait des films, ont laissé leurs noms gravés à  tout jamais dans l’histoire du 7ème art comme dans l’Histoire tout court, des cinéastes qui, de leurs passés, et par l’abordage intime et caché de leur enfance, ont signé parmi les plus grands chefs-d’oeuvre du cinéma. Nous ne pourrons pas dire que ceux qui ont filmé leurs enfances pour ce film à  segments ont le même talent, mais ils ont su prouver, du moins dans la globalité du projet, qu’un réalisateur, qu’un artiste, n’est d’abord qu’un enfant, et que tout le monde, n’importe quand, peut faire du cinéma, sans même une seule idée originale ; l’enfance de chacun est déjà  si grande que mille films ne sauraient la raconter…

Jean-Baptiste Doulcet

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Enfances
Film français de Yann Le Gal, Ismaël Ferroukhi, Corinne Garfin, Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, Isild Le Besco, Safy Nebbou
Genre : Collectif
Durée : 1h20
Sortie : 14 Mai 2008
Avec Julie Gayet, Elsa Zylberstein, Clotilde Hesme, Isild Le Besco

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La bande-annonce :