La Frontière de l’aube

aff film_8.jpgIl fallait que le public cannois soit sot et prétentieux pour siffler la projection de La Frontière de l’aube, film du cinéaste Philippe Garrel repêché in extremis pour avoir enfin les honneurs de la sélection officielle. Il fallait surtout ne rien entendre au mystère et à  la magie du septième art, dont le réalisateur des Amants réguliers reste un incontestable artisan, un contributeur persévérant en dépit des problèmes financiers, même s’il faut avouer que son dernier opus déçoit un peu, non dans sa forme très  » garrellienne  » mais plutôt dans un casting inapproprié.

Ne reniant en rien ses obsessions habituelles : la rupture sentimentale, l’autodestruction par les drogues, Philippe Garrel construit La Frontière de l’aube autour de la passion entre Carole, star de cinéma, délaissée par son mari, et François, un jeune photographe venu faire un reportage sur elle. Une histoire d’amour dans tout ce qu’elle a de plus banal et tragique lorsque Carole, d’abord internée, finit par mettre fin à  ses jours. François refait sa vie avec Eve, qui l’attire vers une vie plus rangée, plus conventionnelle avec en point de mire le statut de père adulte et responsable. Carole revient hanter par des apparitions – un peu kitsch – dans les miroirs la mémoire de François, le suppliant de venir la rejoindre.
Comment échapper au poids du passé, aux ravages d’une relation passionnelle, d’un amour fou. Autant de thèmes chers à  Garrel, qui fait de Laura Smet – l’interprète de Carole – une petite soeur de Nico, de Jean Seberg et de Mireille Perrier, toutes égéries et muses du cinéaste. Peut-être la comédienne des Corps impatients manque-t-elle d’une véritable dimension magnétique et charismatique à  entrer dans son personnage de star solitaire et à  faire appréhender ses pulsions de mort. Et de la même manière, Louis Garrel – bien plus convaincant dans la légèreté chez Christophe Honoré – ne donne pas l’envergure adéquate à  son personnage écartelé qu’il tire trop vers une nonchalance dilettante qui sied mal au rôle.

Hormis ces réserves concernant la faiblesse ou l’inadéquation de l’interprétation, force est de constater que La Frontière de l’aube déploie toutes les caractéristiques qui ont fait la singularité du réalisateur de J’entends plus la guitare. Nous découvrons donc en oute logique un film inactuel, intemporel dont on perçoit juste qu’il se situe à  Paris, tourné en noir et blanc sous la houlette du grand chef opérateur Willy Lubtchansky, rendant hommage au cinéma muet – fermetures à  l’iris, cartons et musique composée en direct par Jean-Claude Vannier et le violoniste Didier Lockwood. Chantre de la prise unique, Philippe Garrel réduit aussi a minima les dialogues, souvent sans lien apparent avec le sujet – des dialogues murmurés, à  peine articulés, parfois inaudibles. D’autres influences pointent aussi dans La Frontière de l’aube, celles d’un certain cinéma fantastique français ou allemand (Fritz Lang, Murnau, Georges Franju et La Tête contre les murs) dans la scène où Carole subit une séance d’électrochocs, mais également celles de Jean Cocteau – qui mit en scène le mythe d’Orphée et d’Eurydice illustré par la traversée du miroir.

Néanmoins, il serait injuste de voir Philippe Garrel en artiste passéiste et morbide, englué dans des références vieillottes, incapables d’intéresser le (jeune) spectateur. C’est passer à  côté d’un cinéma primitif et poétique, exaltant les affres de l’amour et de la passion et c’est aussi oublier que le cinéma est d’abord une expérimentation de l’esthétique et des sens et que toute l’oeuvre de Garrel – à  des degrés de réussite divers – témoigne de cette démarche-là .

Patrick Braganti

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La Frontière de l’aube
Film français de Philippe Garrel
Genre : Drame
Durée : 1h45
Sortie : 8 Octobre 2008
Avec Laura Smet, Louis Garrel, Clémentine Poidatz

La bande-annonce :

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