Syngué Sabour, de Atiq Rahimi

sabour_1.jpgUne femme soigne son mari comateux dans une pièce vide d’une maison presque vide. Dehors, des tirs, des bombardements, des cris. Pays non cité (mais de langue arabe) en guerre, soldat touché par une balle d’un de ses compatriotes, épouse soumise à  ses côtés. Le décor est posé, démarre alors l’écriture sèche et poétique d’un huis-clos étouffant.

Bercés par le rythme lancinant des souffles du mari et des prières de sa femme, nous assistons progressivement à  la libération de cette dernière qui »se lâche » profitant de l’immobilisme de son époux pour lui dire tout ce qu’elle a tu depuis son mariage. Peu à  peu, son homme devient un Syngué Sabour (Pierre de Patience), sur lequel elle déverse sa bile, ses rancoeurs et ses malheurs que la pierre absorbe avant d’éclater et de délivrer la personne de ses souffrances.

Cette femme, c’est donc LA femme musulmane de pays comme l’Afghanistan, où la liberté et la condition féminines sont encore bien restreintes. Atiq Rahimi condamne ainsi, de manière poétique et très belle, les sociétés où religion et politique rabaissent les femmes au rang de sous-êtres soumis et vite impurs. La mise en scène théâtrale et dénuée d’effets inutiles de la situation rend le propos plus fort. Cependant, par moments, le roman laisse aller son héroîne à  des explications un peu trop appuyées durant ses coups de sang, ses colères parsemées de crudité et de vulgarité imprévue sont souvent en mode justificatif, comme pour ne pas perdre un lecteur peu au fait des us et coutumes des communautés afghanes. Cela dessert assez la force qui réside dans les accès de fièvre de cette femme qui n’en peut plus de cette vie ratée, passée à  attendre de la considération et de l’estime de la part de celui avec qui et par qui elle existe.

Le prix Goncourt vient de couronner Syngué Sabour et son auteur franco-afghan, dont c’est la première oeuvre entièrement écrite en français. Est-ce un prix qui récompense le roman en lui-même, qui peut aussi se lire comme un conte psalmodié au sujet des femmes assujetties et bafouées ? Ou est-ce un petit coup de pub pour redorer le blason d’un concours littéraire fatigué mais qui récompense une oeuvre salutaire, presque humanitaire ? Est-ce la victoire de la littérature ou de la bonne conscience ? Je vous laisse seuls juges…

Jean-François Lahorgue

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Syngué Sabour, de Atiq Rahimi
Editions P.O.L, 160 pages, 15 €¬
Parution : août 2008