Of Time and the City

affiche_3.jpgUn jour des étudiants en cinéma se livreront peut-être à  une étude comparative de Les Plages d’Agnès et Of Time and the City. Après tout, ne s’agit-il pas dans les deux cas d’un documentaire autobiographique où Agnès Varda et Terence Davies plongent respectivement dans leurs souvenirs en retraçant tout ou partie de leur existence ? Tant par la forme que par l’esprit, les oeuvres divergent en grande partie, révélant au passage l’approche de chacun face à  la vie et au défilement du temps. Si l’une – Varda – malgré l’âge et les douleurs, semble toujours aller de l’avant et inventer chaque jour sa vie avec une audace et une énergie sans cesse renouvelées, l’autre – Davies – exprime d’abord une profonde nostalgie, teintée de pessimisme et de désenchantement, pour un passé enfoui sous laquelle une certaine aigreur et la tentation du,  » c’était mieux avant  » émergent de temps à  autre. Cependant, les deux opus sont pareillement bouleversants et partagent un penchant identique pour les gens de peu, les laissés-pour-compte et plus particulièrement les personnes âgées.

Si Varda nous promène à  travers le vaste monde, les souvenirs de Terence Davies sont attachés à  un seul endroit, : la ville de Liverpool, pour laquelle il s’évertue à  montrer et à  déplorer l’opposition entre la métropole de son enfance et la futilité du monde contemporain. Of Time and the City, film court d’à  peine soixante-quinze minutes, se présente sous la forme d’un montage savamment agencé d’images d’archives, commentées d’une voix rocailleuse par le réalisateur lui-même, déclamant avec une emphase et un lyrisme que certains trouveront rébarbatifs et d’autres inhérents à  l’exercice un texte qui tient du long poème, entrecoupé de nombreuses citations, : Joyce, Tchekhov…
Le rapport à  l’adolescence,  chez Terence Davies s’avère douloureux, : le réalisateur, discret et modeste, de The Long Day Closes (1992), prit très tôt conscience de son homosexualité et développa en parallèle une haine tenace envers son éducation religieuse, et de façon plus vaste, envers toutes les formes de pouvoirs et d’endoctrinement. Très caustique, à  la limite du politiquement incorrect, cette langue de vipère à  l’humour acerbe et,  au verbe acéré ne l’envoie pas dire, ni à  la famille royale, ni au Pape et ses sous-fifres.

Dans cette enfance solitaire surnage comme plaisir presque interdit l’amour grandissant pour le cinéma, un art dont il deviendra à  partir des années 70 un brillant représentant, le nourrissant, tant à  travers des courts-métrages autobiographiques que des fictions se déroulant à  Liverpool, de sa propre et curieuse vie, au sujet de laquelle il confesse n’avoir été heureux que de sept à  onze ans, les âges où il perdit son père, être brutal qui le terrorisait, et où prit conscience de son attirance pour les garçons.
Varda et Davies personnifient de façon presque caricaturale l’optimisme et le pessimisme. Pourtant, ces deux-la, dont l’oeuvre est traversée de nombreuses influences artistiques (poètes, peintres, gens de théâtre,…) inscrivent aussi celle-ci dans l’ère du temps et le rapport au politique. Ainsi, le constat doux-amer délivré par Terence Davies sur les métamorphoses de Liverpool est-il sans illusions concernant l’envol des rêves de progrès et d’égalité de toute une classe prolétarienne. A côté des monuments prestigieux – l’architecture néoclassique a produit de remarquables bâtiments à  Liverpool – se profilent des enfilades de cités ouvrières, de tours affreuses et délabrées.

Il y a bien quelque chose de proustien chez le réalisateur de Distant Voices, Still Life embarqué dans un documentaire très original à  la recherche d’un temps perdu. Celui de ses jeunes années, mais le propos s’étend bien au-delà  dans une ode lyrique et enflammée, où le profane côtoie le sacré, où le trivial vient par intermittence percuter un texte hautement littéraire, où un conservatisme apparent ne résiste pas à  l’esprit narquois et incisif. Une curiosité sans doute, mais surtout un magnifique chant d’amour à  une ville et au passé.

Patrick Braganti

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Of Time and the City
Film britannique de Terence Davies
Genre : Documentaire
Durée : 1h14
Sortie : 4 Février 2009

La bande-annonce :

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