Elève libre

affiche_5.jpgDans Nue propriété, deux frères Thierry et François étaient laissés à  eux-mêmes par une mère démissionnaire, avide de liberté et d’émancipation. Ce motif de l’abandon figure de nouveau dans le nouveau film du belge Joachim Lafosse, mais cette fois inscrit à  la marge, comme on retrouve aussi un duo de frères, dont seulement un, Jonas, le plus jeune, va intéresser le cinéaste.

Si Jonas se défend plutôt bien au tennis, il en va tout autrement pour ses études. A force d’accumuler échecs et retard, l’école publique finit par ne plus accepter ses redoublements. Alors qu’il trouve trop jeunes et sans attrait ses condisciples, Jonas fréquente un étrange trio, : Pierre, et un couple Didier et Nathalie. Sorties en boite ou à  la mer, repas, les trois adultes conseillent et écoutent le garçon, qui semble avoir déserté le foyer familial. Jonas a aussi une petite amie mais la relation physique ne se passe pas au mieux, : empressé, anxieux et fermé aux désirs de la jeune fille, Jonas n’en retire que de la frustration et voit le doute s’insinuer en lui.

Lors de conversations très libres et sans tabous, Pierre entreprend l’éducation de Jonas. Une éducation sans réelle barrière, qui flirte au fur et à  mesure avec la transgression et la perversité. Elève libre évoque donc des sujets délicats, foncièrement casse-gueule, : l’apprentissage sexuel d’un adolescent, attiré, séduit et déstabilisé par des adultes brillants et ouverts pour lesquels les limites et les interdits ne paraissent plus exister. Ou n’existent que pour être dépassées et abolis dans une recherche épicurienne de tous les plaisirs où le maître-mot est d’essayer avant de se prononcer sur ses penchants.
En roue libre, Jonas éponge et absorbe tout ce que peuvent lui offrir Pierre et ses amis, avec l’accord d’une mère absente la plupart du temps et d’un père ayant renoncé à  s’impliquer davantage. L’origine des liens entre Jonas et Pierre reste floue mais la situation hors normes ne gêne personne.

Commencé dans le mouvement – entraînement et tournois de tennis, baignades et virées nocturnes – le rythme de Elève libre s’assagit en même temps que les échanges entre Jonas et son précepteur, pygmalion ou mentor s’intensifient, s’intellectualisent tout en faisant sauter les défenses du garçon. Joachim Lafosse explore ce domaine inconnu et secret qu’est la sexualité, qui colle bien sûr au plus près de l’intime et constitue par excellence la sphère privée qu’il demeure difficile, voire scabreux, de pénétrer. Le mérite du film est de savoir rester sur le fil ténu du rasoir et de ne pas inscrire ses personnages dans des cadres rigides, : Jonas n’est pas qu’un agneau innocent et démuni, Pierre le loup calculateur et tacticien.
Ce qui traverse Elève libre – et l’adjectif recouvre ci les acceptions les plus diverses – c’est aussi l’idée de rester éveillé et ouvert au monde, à  tout ce qu’il peut proposer, dans une démarche de curiosité et de découvertes où Pierre incite Jonas à  se défaire d’a priori et de pensées toutes faites. Le discours est certes ambigu car, si ses vertus éducatives sont incontestables, il sert aussi le dessein de Pierre. Une ambigüité qui demeurera jusqu’à  la fin, rendant le film troublant.

En questionnant le passage de la transmission à  la transgression, qui est peut-être aussi celui de l’adolescence vers l’âge adulte, Joachim Lafosse se livre aussi à  une réflexion sur la séparation entre corps et esprit, sur la frontière entre sexe et sentiments. A la place de scènes frontales et crues, il privilégie le hors-champ, montrant que la sexualité a beaucoup à  faire avec la cérébralité. Un sujet en quelque sorte universel qui trouve écho en chaque spectateur, agacé, gêné, choqué, décontenancé ou bien charmé et emballé par un film brillant et complexe, déjouant avec finesse tous les écueils prévisibles.

Patrick Braganti

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Elève libre
Film français, belge de Joachim Lafosse
Genre : Drame
Durée : 1h45
Sortie : 12 Février 2009
Avec Jonas Bloquet, Jonathan Zaccaî, Yannick Renier

La bande-annonce :

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