Demain dès l’aube

affiche_6.jpgOn sait depuis son film précédent, La Tourneuse de pages, combien Denis Dercourt fait entrer dans son travail au cinéma le monde de la musique classique qu’il a approché pendant sa jeunesse et qui apparaît pour les néophytes extrêmement codifié et fermé. Empli de mystère, aussi. Ce dont Demain dès l’aube, son dernier long-métrage, n’est certainement pas dépourvu. Il faut bien reconnaître à  cet ancien musicien l’audace et l’ambition qui font hélas si souvent défaut aux cinéastes d’ici. Alors qu’il s’intéressait en 2006 aux clivages sociaux sur fond d’une histoire de vengeance, Denis Dercourt investit aujourd’hui le milieu – lui aussi opaque et obéissant à  des règles précises et à  des cérémoniaux pour le moins surprenants – des jeux de rôles et se propose de réfléchir sur la coexistence du monde réel et virtuel – qui n’est pas pour une fois celui de l’Internet – , en quoi les frontières entre les deux peuvent se révéler poreuses, pour peu que les êtres qui les pénètrent soient eux-mêmes vulnérables et fragiles.

Frère cadet de Mathieu, pianiste de renom, Paul, un simple manutentionnaire, vit avec leur mère malade et, passionné d’histoire, fait partie d’un réseau de »joueurs » qui revisitent l’épopée napoléonienne en se métamorphosant (habits, langage et activités) en parfaits soldats de l’Empire. Appelé par sa mère pour tenter d’extraire Paul de sa passion insolite et de le ramener à  la vie réelle, Mathieu, dont la vie privée connait des moments délicats et semble ébranler sur ses positions d’artiste reconnu et sollicité, prend part aux jeux de son frère. Demain dès l’aube fonctionne complètement sur l’idée du vacillement, de la perte des certitudes et des repères habituels. Revêtant l’uniforme du hussard, épousant la langue et les usages de l’époque, Mathieu, d’abord mû par l’amour qu’il voue à  son petit frère, bascule à  son tour, en brouillant les lignes de démarcation entre vie réelle – l’hospitalisation de la mère mourante rappelle en quoi celle-ci est souvent tragique – et échappatoire dans un monde parallèle, d’autant plus aisée et troublante qu’elle repose sur l’anachronisme.

C’est une belle gageure de la part de Denis Dercourt à  nous rendre accessibles les codes de cette curieuse et déstabilisante occupation sans jamais les traiter ni de manière appuyée ni méprisante. Les différents scénarios mis en place par Paul et ses condisciples (bivouac, entrainements, souper et duels) distillent à  la fois un charme envoûtant et un malaise croissant, face à  l’emprise manifeste qu’ils opèrent sur Mathieu. Demain dès l’aube avance constamment sur le fil du rasoir, jouant les équilibristes avec subtilité et un brin de perversité et minorant le ridicule potentiel de la situation, que nous finissons par prendre terriblement au sérieux, à  l’instar des joueurs. Denis Dercourt établit aussi un parallèle entre les deux milieux (la musique et les jeux de rôles) qui contribue à  l’épaississement du mystère ambiant et au surgissement d’une tension et d’une inquiétude communicatives.

Film essentiellement masculin dans son casting, Demain dès l’aube explore pourtant la part féminine des hommes, celle de leurs fêlures et leurs interrogations, de leur (douce, ?) folie qui se traduit ici par l’incapacité grandissante à  être au monde. Néanmoins, on peut nourrir quelques regrets à  voir le film glisser vers le thriller et déboucher sur une issue exagérément dramatique qui souligne avec ostentation un trait jusqu’alors épuré, sachant préserver des zones d’ombre. Il n’en reste pas moins que le soin méticuleux apporté à  l’ensemble (écriture et mise en scène) ainsi que la qualité générale de l’interprétation achèvent de nous convaincre.

Patrick Braganti

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Demain dès l’aube
Film français de Denis Dercourt
Genre : Drame, Thriller
Durée : 1h34
Sortie : 12 Août 2009
Avec Vincent Perez, Jérémie Renier, Aurélien Recoing, Françoise Lebrun,…

La bande-annonce :

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