Vincere

affiche_14.jpgDepuis quelques années, l’italien, aujourd’hui septuagénaire, Marco Bellocchio revient sur le devant de la scène, redorant le blason par trop terni de la cinématographie de son pays. , En 2003, il est ainsi le premier à  mettre en scène l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades Rouges dans Buongiorno Notte – on prend avec le recul la pleine mesure de son talent à  retracer la condition d’otage en comparant le film à  la proposition banale de Lucas Belvaux dans Rapt. Se pencher sur l’histoire complexe de l’Italie et en débusquer les dysfonctionnements et les errements dans une démarche où s’imbriquent l’audace de la subversion assumée et l’exigence plastique et formelle semblent constituer la ligne de conduite du réalisateur de La Nourrice.

Vincere pourrait bien être le point d’orgue d’une longue carrière. En exhumant un pan oublié, sinon méconnu, de l’histoire contemporaine, Marco Bellocchio réalise un long-métrage puissant qui mêle subtilement les trajectoires individuelles au destin collectif. Alors qu’il n’est encore qu’un inoffensif socialiste et pacifiste, mais déjà  ambitieux et arrogant – sa démonstration à  la fois ridicule et imparable de l’inexistence de Dieu en atteste – Benito Mussolini rencontre à  Trente Ida Balser. Sept ans plus tard à  Milan, Ida succombe derechef à  l’appétit de pouvoir et de victoire – Vincere signifie en effet vaincre – de cet homme orgueilleux, dont le regard exorbité paraît toujours défier et scruter l’avenir. Enceinte d’un garçon qui se prénommera Benito Albino, Ida est rejetée au profit de la famille officielle du futur Duce (sa femme légitime et ses quatre enfants). Tournant le dos à  ses doutes bellicistes et ses convictions universalistes, Mussolini se prononce pour la guerre et fonde un journal qui assied sa popularité, tout en répudiant Ida et son fils.

La grande trouvaille de Vincere est d’avoir fait de sa figure principale une héroîne d’opéra, tragédienne moderne et éternelle, animée par un amour entier et paradoxal qui la poussera à  la ruine et à  la déchéance complète, sans que jamais elle consente à  le renier ou, tout au moins, à  le taire selon les conseils avisés d’un psychiatre thérapeute. Le film se divise en deux grandes parties, : d’abord, la rencontre et les premiers moments tourbillonnants et illusoires qui marquent l’ascension de Mussolini, puis la répudiation avec l’enfermement en asile. Pendant deux heures étourdissantes et sans relâche, Vincere renverse par son inventivité formelle et sa haute tenue. l’incrustation des images d’archives vient mettre en perspective les événements privés, le Mussolini en noir et blanc des documents officiels, éructant et gesticulant, venant petit à  petit se substituer au personnage fictionnel. Ce glissement progressif qui finit par opérer une boucle lorsque Filippo Timi interprète le rôle de son fils – l’histoire a retenu que la ressemblance était frappante entre les deux – accompagne l’éloignement et l’enfermement d’Ida.

Régénérant les codes de l’opéra, Vincere devient une oeuvre totale à  la beauté crépusculaire. Le travail sur la lumière et les ambiances claires-obscures est remarquable et offre d’inoubliables scènes, : un duel sur fond de cheminées d’usine, Ida grimpée aux grilles de l’asile pour disperser ses lettres. Marco Bellocchio n’oublie pas de rappeler le rôle équivoque et omnipuissant de l’Eglise à  cette époque, ; régnant aussi bien sur les institutions scolaires que médicales, le clergé s’acoquine avec un pouvoir délétère et dictatorial. Mais il faut aussi mentionner l’hommage émouvant au septième art qui traverse Vincere : lorsque Mussolini est hospitalisé, on projette une antique Passion sur le plafond de l’édifice, tandis que les salles de cinéma deviennent des lieux de débats agités et d’empoignades féroces entre partisans et contempteurs du Duce. Et Ida libère enfin ses larmes et sa peine en regardant Chaplin recueillir et protéger le Kid.

Giovanna Mezzogiorno – qui offre une étrange ressemblance avec Romy Schneider – campe avec ferveur et passion une Ida sacrifiée, bafouée et détruite. La musique, peut-être un peu trop pompière et omniprésente de Carlo Crivelli, habille les tourments et les folies de l’histoire, petite et grande. Refusant la compromission, s’acharnant à  revendiquer son statut et celui de son fils, pantin pathétique et abandonné singeant les mimiques du père, Ida Balser est donc bel et bien une véritable tragédienne. Vincere ne s’y trompe pas en lui fournissant un écrin de virtuosité flamboyante, où le souffle romanesque et épique se vivifie porté par un aplomb stylistique irréprochable.

Patrick Braganti

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Vincere
Film italien de Marco Bellocchio
Genre : Drame, Historique
Durée : 1h58
Sortie : 25 Novembre 2009
Avec Giovanna Mezzogiorno, Filippo Timi, Fausto Russo Alesi,…

La bande-annonce :

1 thoughts on “Vincere

  1. Bonjour. Bien que ce point soit secondaire pour la compréhension du film je précise que la rencontre d’Ida Dalser avec Mussolini à Trente est à mettre au compte de la fiction : ce fut seulement en 1914 à Milan, où elle avait un cabinet d’esthéticienne, qu’il fit la connaissance de celle-ci. Cela dit, la fiction emprunte ici à une réalité : en réponse aux reproches de Rachele Guidi, qui supportait mal cette aventure extra-conjugale, Mussolini répondit qu’il avait jadis connu Ida Dalser… « Ã  Trente en 1909 » et qu’il l’avait revue par hasard, à Milan. Cordialement.

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