La guerre du Kippour, de Frédéric Chouraki

gen_thumbail.asp.jpgCela fait bientôt dix années que Frédéric Chouraki distille son humour vachard et casher au gré de ses romans, tel un Philip Roth des premières oeuvres ou un Woody Allen lettré de ce côté-ci de l’Atlantique. Forcément, le cinéaste aux lunettes rondes est évoqué quand s’installe le décorum et l’intrigue de cette guerre du Pardon : soit Fred qui décide de faire découvrir Popeline, sa nouvelle compagne, goy et rousse jusqu’aux pointes de son énorme tignasse, grosse gueule et provocante – son opposé total, en somme – à  ses parents et son frère qui accumulent défauts et particularismes en terme de sociabilité. Le jour est, de plus, très mal choisi, celui du Yom Kippour, pendant lequel la communauté juive ayant festoyé, jeûne et prie durant 24 heures puis mange à  nouveau jusqu’à  ce que crise de foie s’ensuive.
Mais Popeline ne va pas, bien entendu, se conformer aux rites de sa belle-famille, et prouvera par ailleurs qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, et qu’elle n’est pas également le ténia sur pattes qu’elle désire paraître tout le temps. Et cette réunion de famille, casse-gueule jusqu’à  l’ivresse, va évidemment se révéler le meilleur exutoire pour délivrer ses passions, ses rancoeurs, ses regrets et ses envies.
Carrément cinégénique, cette guerre du Kippour. Situations aisément identifiables, dialogues ciselés et mordants, personnages croquignolets et évocation mystico-religieuse fascinante : la plume de Chouraki égratigne sur toute sa première partie la rencontre et les rapports de force de tous les personnages convoqués à  ces ripailles. Et c’est extrêmement drôle, poétique et méchant, comme si, tel sa Popeline frondeuse et tête-à -baffes adorable, l’écrivain s’amusait comme un fou dans cette valse de bons mots et de traditions secouées. Un régal.
La seconde partie, comme après un repas trop fourni, laisse la place à  une légère indigestion et une relative somnolence face au dénouement de l’intrigue. Passages plus obscurs, résurrections un peu fantaisistes, personnages plus doux, plus policés, l’auteur range quelques peu son vitriol et s’empare de l’histoire religieuse juive pour la recontextualiser sur ce petit appart’ de Clamart. Soit, mais on est en droit de préférer les deux premiers tiers de cette lutte de mots et de regards, l’affrontement permanent des idées et des chairs, pour finalement désigner en vainqueurs ceux que l’on n’espérait plus.
Enfin, et comme pour porter l’assaut final, cela faisait longtemps que je n’avais pas autant ri, surtout au milieu d’une foule plutôt silencieuse, ce qui attirait les regards autant sur l’ouvrage que sur son lecteur au rire fracassant et un peu idiot. Maudit soit Chouraki !

Jean-François Lahorgue

4.gif

La guerre du Kippour, de Frédéric Chouraki
Le Dilettante, 190 pages, 16 €¬
Date de parution : mai 2010.