Air Doll

airdoll.jpgL’âme intangible des films de Kore-Eda a toujours échappée à  l’artifice ou aux conventions, construisant des récits sur l’épure dramatique et la consistance du temps qui simplement se déroule (« Distance » »Nobody Knows » »Still Walking ») »Air Doll » fantaisie à  part, récréation ludique sur la quête amoureuse et les bouleversements existentiels, est de fait le premier film du cinéaste japonais à  n’être voué qu’à  un principe d’artifice, de faux : pour cause, son héroîne est une poupée gonflable dont l’existence alterne entre la vie en chair humaine, et celle en plastique pour laquelle se démène un pauvre type censé combler les trous. Broderie onirique sur la plastification des êtres, la superficialité amoureuse et l’abandon des rêves, »Air Doll » est une métaphore non-dissimulée de nos brèves destinées vouées à  l’échec. Mélange de naîveté poétique (certaines scènes, notamment le théâtre d’ombre et le passage à  la vie humaine, rappellent quelques travaux surréalistes d’Ozu) et d’érotisme soft, Hirokazu Kore-Eda signe une oeuvre inventive et légère comme une plume, mais finalement beaucoup plus profonde qu’elle ne le laisse paraître. Son scénario s’étire trop jusqu’à  des conclusions esthétiquement peu intéressantes, seule ombre au tableau, mais la fable mécanique qu’il propose offre ses charmes comme un manège d’enfant où l’on s’émerveille devant la créativité de certaines réalisations (la scène de sexe dissimulée en un regonflage dans un vidéo club). L’amour porté vers le cinéma et cette luminosité qui perdure longtemps après le film tient aussi de la matière plaisante de l’oeuvre. A la manière de Park Chan-Wook dans »Je suis un cyborg » (dont la photographie semble être reprise à  l’identique), mais à  la différence qu' »Air Doll » a un motif et un sens, Kore-Eda créé une comédie en apesanteur, imprévisible dans son charme lunaire et la riche thématique qu’il embrasse. Son flux poétique inspire chaque plan, chaque idée comme si tout devait prendre son envol dans le même temps. Extraordinaire d’imagination tout en étant d’une grande paisibilité, »Air Doll » agrandit les influences de son auteur jusqu’à  la BD charnelle et le manga futuriste, tout en gardant de cette épopée le sens premier et le charme enfantin : celui d’une comédie dramatique, dont le décalage improbable offre de magnifiques séquences de drôlerie. Sous les lumières bleutées de l’enfance, comme le papier peint d’une chambre de gosses, Kore-Eda compte rappeler aux adultes que tous les contes ne sont qu’un seul souvenir, celui, essentiel, de notre enfance dissimulée. Tout y est faussement mièvre, dépeignant par le biais d’une esthétique laiteuse et colorée la noirceur hors-champ de la gravité humaine. On sourit à  la mort de la poupée là  où il n’y a qu’une fatale et sereine affirmation du temps qui passe et qui condamne. Le cinéma japonais semble grandi dans cette évocation acidulée de la vie, à  l’encontre des temps technologiques qui dévorent les pensées et les corps. Le plastique de Air Doll, idéalement, devient la peau d’une jeune fille miraculeuse qui découvre la vie comme un enfant qui trouve quelques repères. Offrande au plaisir de la découverte, aux plaisirs de la chair, »Air Doll » communique sous ses coquineries mignonnes la dimension tragique de l’amour et de la mort. Son actrice, Doona Bae, y est pour beaucoup et clôt de son inoubliable visage d’automate les évasions inspirées d’un film mineur et pourtant immanquable.

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Jean-Baptiste Doulcet

Air Doll
Film japonais de Hirokazu Kore-Eda
Genre : Comédie fantastique
Durée : 2h05 min
Avec : Doona Bae, Arata, Jô Odagiri…
Date de sortie cinéma : 16 Juin 2010