La ballade de Lila K, de Blandine le Callet

Laballadedelilak Une nuit, des hommes armés en uniforme arrachent une jeune enfant à  sa mère. Ils l’emmènent dans le Centre, une sorte de DDASS du futur où sont pris en charge tous les enfants qui comme Lila ont vécu des situations difficiles pendant la prime jeunesse. Pour Lila il s’agit de tout apprendre. Apprendre à  parler, à  se nourrir normalement, à  vivre au côté des autres, étape sans doute la plus difficile quand le vécu tend à  isoler la jeune fille puis la jeune femme du monde  » normal « . Apprendre à  se faire le plus discret possible, apprendre à  faire ce que l’institution attend de la jeune fille, puis de la jeune femme. Mais surtout ne jamais oublier. Ne jamais oublier que dehors, quelque part dans La Zone, vit celle qui sait, qui peut expliquer pourquoi tout a commencé, pourquoi Lila en est arrivée là  : sa mère.

Roman intéressant cette ballade de Lila K. Un déroulement narratif intelligemment construit aussi, que cette quête de la Mère écrite à  la première personne où Lila, le narrateur, décrit les événements comme elle les vit, les pressent, les envisage. Cette forme de roman à  la première personne permet à  son auteure d’éviter les longues descriptions et accroît l’énergie du fil narratif et sa concentration sur des phrases courtes, nerveuses, proche du monologue ou du roman épistolaire (dans lequel le roman bascule d’ailleurs à  la faveur d’un événement climax).

Comme tout est vu au travers de yeux le Lila, rares sont les concessions faites à  la description en tant que telle d’un futur qui fait le vécu quotidien du personnage. Tous les éléments d’informations concernant la situation sociale, technologique, génétique, chronologique du récit d’anticipation écrit par Le Callet sont distillés avec subtilité au fil de la recherche personnelle de la construction de soi et de la quête perpétuelle de la mère. Il est difficile pour moi d’évoquer cette composante importante du roman sans en déflorer la surprise. Disons que le monde contemporain de Lila K est un Paris du futur, pas si éloigné que ça de l’idéal sécuritaire du gouvernement actuel, qui n’a rien à  envier aux réflexions du 1984 de Orwell ou au Ravages de Barjavel dans le sillage desquels La ballade de Lila K peut s’inscrire sans difficulté. Mais un univers de sciences fiction qui sert ici plutôt de décor, avec l’air de ne pas tant y toucher que ça, par le biais du roman en je, et d’une narration resserrée au plus près des pensées intimes du personnage principal (qui évite les digressions éloignées des préoccupations immédiates de Lila K).

Parce qu’au-delà  de l’univers SF dans lequel s’inscrit le roman et du fil rouge de la quête de la mère disparue, il est aussi question d’apprentissage de l’Amour majuscule dans la ballade de Lila K. J.’ai envie d’y voir la manifestation la plus significative de l’écriture féminine dans ce roman de SF et son principal intérêt d’ailleurs, si je n’avais peur d’être mal compris et taxé de machisme primaire. Or non. Mais c’est pourtant quand Blandine le Callet décrit la quête de la sensualité, le plaisir de la nourriture qu’on prend au doigt pour ses vertus réconfortantes, ou quand elle évoque sa nostalgie de sa relation avec la mère ou les Pygmalions du Centre que le roman trouve une voie toute personnelle. Une différence salutaire, entre roman courtois et SF qui s’exprime dans la quête du soi, femme jeune et jolie, ou bien encore dans sa description de la naissance du sentiment et de la découverte du plaisir sensuel du corps de l’autre. C.’est dans ces détails que le roman d’anticipation trouve un  » regard  » vraiment différent de celui des maîtres du genre auxquels on ne manque pas, bien sûr, de le comparer. Et puis, qui d’autre qu’une femme aurait pu décrire des séances d’hédonisme mécanique obligatoire, sans verser dans l’érotisme de Barbarella ou la complaisance voyeuriste.

La ballade de Lila K est un roman d’anticipation, certes, mais sa vraie originalité ne réside pas dans son évocation de ce futur plus ou moins proche (l’idée d’un périphérique transformé en seconde Coulée Verte pour les joggeurs et les poussettes n’est pourtant pas pour me déplaire) déjà  abondamment exploité ailleurs avec parfois plus d’originalité ou de présence. La ballade de Lila K est un roman initiatique, où l’amour naît dans un univers aseptique qui laisse peu de place au hasard. Ce constat est d’ailleurs la seule réserve que j’émets sur livre qui s’avale rapidement, non dénué de plaisir dans la découverte des mécanismes narratifs qui font évoluer l’histoire comme on soulèverait progressivement un voile sur une époque et une histoire personnelle. Il convient de se préparer à  lire une histoire d’Amour (pour un maître, pour une mère, et pour l’Autre) qui prend la SF pour décor, et non un roman de SF ou l’Amour est une des composantes. Cette réserve émise, on passe quelques heures divertissantes dans le Paris de Lila K. Et on veut un chat abyssin arc-en-ciel. Mais ça c’est une autre histoire.

Denis Verloes

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Code EAN / ISBN : 9782234064829
Code HACHETTE : 5468020
Prix TTC : 21,50 €¬
Date de parution : 09/2010
Dimensions : 215 x 135 mm
Nombre de pages : 400
Copyright ,© Editions Stock, 2010

2 thoughts on “La ballade de Lila K, de Blandine le Callet

  1. Tout à fait d’accord avec cette analyse. Le roman de Blandine Le Callet est saisissant, captivant, bouleversant!! C’est effectivement, d’abord et surtout, la très belle histoire d’amour d’une fille pour sa mère, envers et contre tout. L’arrière fond futuriste (mais d’ailleurs, l’est-il tant que cela, « futuriste » ?) permet d’éviter le témoignage social et donne au propos une dimension universelle. Cette « Ballade » nous emporte de la première à la dernière page!

    1. Merci Mathilde. Marrant, moi j’y voyais aussi le témoignage d’une histoire d’Amour entre Lila et son mentor à la bibliothèque, amené par l’amour quasi paternel de son maître au centre… ou comment le manque de père devient une quête du père, professeur, puis de l’amant dans un monde où elle a perdu tous ses repères et mères

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