The American

The_american.jpgAprès avoir suivi les traces de Ian Curtis dans un biopic charbonneux, Anton Corbijn s’adonne à  un autre exercice de style (et donc la limite d’un film qui pourtant se prolonge en horizons) : suivre un tueur.

C’est une grande question de cinéma qui se pose alors ; quelle voie suivre, quelle esthétique apporter, quelle identité doit-on greffer à  un récit quasiment mythologique? Car »The American » est bel et bien un film américain, c’est-à -dire potentiellement la photocopie d’un quelconque film de tueur, puisque l’Amérique a longtemps été fascinée par la figure armée du Mal.

Les choix radicaux de Corbijn sont en tout cas judicieux à  défaut de pouvoir plaire à  tout le monde, puisqu’ils s’éloignent fortement des codes romanesques entrepris par un certain nombre de cinéastes sur le sujet. Absence globale de dialogues, travail des espaces, langueur du rythme, étirement des scènes et ellipses rebutantes, »The American » parle la langue cinématographique du visage et du regard. Clooney abandonne son charme premier pour une masse considérable, une présence simple. Ce n’est pas un jeu d’acteur, c’est une posture photogénique, celle-là  même qui habite l’idée de son metteur en scène ; filmer le tueur sans moralité, dans le seul but d’inventer un langage nouveau, une approche conséquente, et forcément un peu esthétique.

Le film est bâti sur des saynètes à  priori insignifiantes mais qui finissent par créer un rythme aussi troublant que délicieux, entre un jeu sensuel des lumières et un décalage des cadres. L’atmosphère ainsi créée évoque par moments le policier mystérieux de l’âge d’or, les dialogues en moins et la mesuration en plus. Le récit n’est assurément pas gai et refuse toute intrusion humoristique pour garder cette froideur stylisée de l’approche photographique, contrastant avec les couleurs chaudes et les décors rocailleux d’une Italie presque surnaturelle. Le jeu sur les décors (dont les ruelles charpentées semblent avoir pris la forme du récit), autant dans l’attente que dans l’action, rappelle aussi qu’il ne s’agit que de cinéma. Mais ce recul invoque gracieusement, comme une question posée à  la mise en scène, la science du cinéma et ce qui se déduit des choix artistiques. Certes les partis pris courent le risque d’être dérangeants, mais si l’on parvient jusqu’au rythme berçant du film, celui-ci se fait élégiaque et chaque composition de plan devient un plaisir visuel troublant.

Finalement, il est étonnant de constater que Corbijn ouvre son film vers ses personnages, alors que l’allure y est millimétrée. Mais il opère à  l’intérieur de cette horlogerie clean une force de la Nature, de la grâce (quelle beauté dans la scène de tirs à  travers les fleurs des champs!), paradoxale au mouvement limité du film. Peut-être parce que, finalement, le montage réfléchit à  la question du sens et de la direction vers l’avant et la progression infinie, accumulant avec simplicité les cadres souvent frontaux des actions. En revanche, lorsque le détail devient une caricature (extraits de Sergio Leone, Alfa Romeo et airs d’opéra italiens pour nous rappeler dans quel décor évolue le tueur), »The American » se confronte au problème de l’identité puisqu’il ne devient alors qu’un formidable exercice. Mais son anti-psychologie fait plaisir à  voir ; elle relève d’une envie de dématérialiser le mythe du tueur, d’en faire quelquechose de subtilement nouveau, prolongeant chaque action en un horizon qui n’a pas à  être justifié autrement que par la notion de Beauté. Cette beauté que les ellipses enchassées brisent par une rythmique hors des temps, presque jazzy. Il en ressort une impression de voir se succéder des chapitres évanescents qui amènent toujours vers quelque chose d’imprévisible, comme une étrange prière qui donne à  cette oeuvre une dimension supérieure, à  la fois abstraite et profondément humaine.

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Jean-Baptiste Doulcet

The American
Film américain de Anton Corbijn
Genre : Drame / Thriller
Durée : 1h43min
Avec : George Clooney, Violante Placido, Thekla Reuten…
Date de sortie cinéma : 27 Octobre 2010