Au fond des bois

Au_fond_des_bois.bmpAprès un »Werther » paresseux à  l’Opéra Bastille en 2010 (commande de Covent Garden), Benoît Jacquot revient aux sources de son cinéma, cet art qu’il rapproche finalement de l’opéra et du théâtre.

De l’un il garde les élans de tragédie, de l’autre les mises en espace. Pourtant l’accord, audacieux, ne parvient pas à  amener »Au fond des bois » autre part qu’à  la sophistication de cette somme.

Dans un premier temps, Jacquot imprime une force surnaturelle à  ses personnages, une aura mystérieuse qui tourne autour d’eux ; de fait, son approche est si éloignée de ce que le cinéma promet, qu’il se créé une atmosphère hors du temps. Sa démarche fascinante opère un moment, le temps de quelques scènes nocturnes aux évocations aussi sensuelles qu’entêtantes. Mais ensuite, son film se retrouve confronté à  cet obsédant problème de reconstitution. Car quand il ne filme pas la langueur surréaliste de l’amour et des êtres, Jacquot se veut de garder tout de même l’addition de théâtre et d’opéra en plein cadre cinématographique. Mais on ne peut pas demander à  une comédienne de figurer au cinéma une gestuelle scénique d’opéra sans y apporter la vocalité qui la soutient. Souvent la mise en scène et la direction d’acteurs tombent dans ce piège, au point de destituer aux personnages toute leur humanité, et donc les paradoxes qui se jouent en eux. S’efface alors la question du mystère : est-il primate, violeur, amoureux, magicien? Est-elle soumise, consciente, amoureuse, comédienne?

Finalement le questionnement et l’ambiguîté profonde de leur relation se perd au profit des belles images que Benoît Jacquot sait créer. La perte des figures humaines dans cette mise en espace de théâtre qu’il réinvente comme une oeuvre moderne, amène au grotesque. De surcroît le décalage temporel de la technique (mouvements d’appareil mécaniques, quasi-robotisés) avec l’approche de son sujet est une fin en soi.

La réduction spatiale qu’impose la scène théâtrale ne peut définitivement pas épouser l’amplitude visuelle que recherche Benoît Jacquot. Car au lieu de chercher l’essence d’un cadre, celui-ci se prolonge souvent en une masse d’horizons alors que le jeu des comédiens, tout autant que le récit et la splendide partition de Bruno Coulais s’efforcent d’être resserrés. Comment Isild Le Besco ne pouvait-elle alors se ridiculiser dans une scène de possession qui flirte avec le grand-guignolesque, puisque Jacquot en limite l’espace comme au théâtre, demande à  sa muse de caricaturer les faits comme une chanteuse d’opéra, et que la caméra scrute et tournoie comme au cinéma? C’est dans ce type de séquences que le film fonctionne maladroitement, et dans sa globalité qu’il échoue à  ses ambitions : des faits réels contrariés par une envie de montrer plus que de raconter est le contraire d’une tragédie d’opéra, la dispersion géographique du récit empêche l’intimisme du jeu théâtral sur la durée, et les affects esthétiques du film sont la limite du cinéma. L’âme qui habite l’art multiple de Jacquot se mue au fur et à  mesure en un énorme artifice qui s’efforce de camoufler le style abscons de son metteur en scène. Car à  vouloir absolument entremêler les trois possibilités de mise en scène et de récit artistique, Jacquot passe à  côté de toute réalisation : et le film de devenir un chantier d’éventualités qui n’aboutissent jamais.

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Jean-Baptiste Doulcet

Au fond des bois
Film français de Benoît Jacquot
Genre : Drame
Durée : 1h42min
Avec : Isild Le Besco, Nahuel Perez Biscayart, Jérôme Kircher…
Date de sortie cinéma : 13 Octobre 2010