Le dernier voyage de Tanya

Le_dernier_voyage_de_Tanya.bmpA la dernière Mostra de Venise, »Le dernier voyage de Tanya » (« Ovsyanki ») était considéré comme le meilleur film à  avoir été présenté en compétition.

Des classements quasi-unanimes de différentes presses, il n’est ressortit pour le jury – Tarantino à  la présidence, qui lui préféra le film de Sofia Coppola, plus pratique pour recoller son couple? – qu’un prix annexe et toutefois mérité de la Meilleure photographie. Il faut dire que le film du novice russe Fedorchenko se distingue aisément par la qualité de ses images, les tonalités fortes qui s’assemblent et le mélange des éléments (eau, feu, neige) créant une matière visuelle particulièrement sensuelle. Cette utilisation intelligente des décors d’une Russie entre la dévastation et la ressource amène à  diluer par l’esthétisme toute la morbidité de certaines séquences comme le lavage du corps post-mortem. Le sordide laisse alors place à  une étonnante élégie des corps (vivants ou morts), ballet érotique où le temps s’arrête dans les horizons immaculés d’une Russie dont on peut enfin saisir l’immensité.

La réduction du format de temps dans ce mini-road movie vers l’apaisement (1h15) permet de resserrer notre mémoire et de former une unité puissamment évocatrice d’un bout à  l’autre. Le style de Fedorchenko tend parfois vers d’inutiles afféteries (mais toute première oeuvre en est constituée), comme ces bruants allégoriques qui décideront d’une fin faussement virtuose dans sa morale. Dommage justement que le film se clôt sur une morale là  où le cinéaste s’en passe habilement, préférant l’étrangeté de la logique des rituels auxquels le récit s’attache de près. Dès qu’il s’éloigne de ce centre et qu’il brode autour du passé, »Le dernier voyage de Tanya » pêche par lisibilité ; les flash-backs, aux lumières léchées et saturées de jaune, sont visiblement pour le cinéaste les liens de cette même logique. Pourtant lors du point culminant du film, où brûle le corps de l’épouse au bord du lac sacré, une confusion de montage rend compte de différents temps superposés qui nous égarent au point que l’on se demande quel rapport il peut y avoir entre le père et la femme de Miron, si ce n’est cet ultime voyage coutumier, sorte d’offrande aux morts issus des rites du peuple Méria.

Fedorchenko complique parfois, comme dans ce cas, la logique interne de son film par un montage complexe. On préfère la limpidité symbolique d’une séquence comme celle où Miron raconte, en voix off, que l’on tisse aux poils pubiens de la jeune mariée des fils multicolores que le nouveau mari aura à  dénouer. De cette évocation, Fedorchenko use d’un artifice tout à  fait plausible qui constitue à  imager ce dialogue. L’image qui en découle est tout sauf artificielle car elle semble composée de manière onirique, alliée à  un lent mouvement de travelling arrière. Et, fin de l’évocation, un plan discret vient fermer la forme triangulaire de cette séquence ; les fils multicolores se battent dans le vent, accrochés comme une mémoire perdue aux branches d’un arbre mort. Dans ce type d’alternance, l’art de Fedorchenko est brillant : il donne à  voir la poésie de son matériau, et le sens de son sujet. Il est assez rassurant de voir que sur la durée, le film tient ses promesses poétiques et lyriques. Le maniérisme esthétique est peut-être trop une certitude pour le cinéaste de combler par le charme et l’hypnotisme les trous dont est constitué son scénario. Mais la maîtrise technique de son oeuvre, et l’émotion singulière qui s’en dégage (mélange de lenteur mystique et d’existentialisme cru), font de Fedorchenko un réalisateur talentueux dans le domaine de l’image et de ce qu’elle transmet. Un artiste à  suivre, qui peut-être se révèlera plus un photographe qu’autre chose. Dans la tour classieuse d’un hôtel de luxe, les reflets nus de Miron et d’une fille de joie dans la vitre panoramique qui s’élève sur la grandeur nocturne de la métropole (centaine de phares de voitures comme des lucioles sur un pont lointain), sont tout à  fait le genre de travail qu’un photographe aurait signé. Aleksei Fedorchenko, s’il retrouve une simplicité à  ses récits, aura tout à  fait la trempe d’un grand cinéaste.

Jean-Baptiste Doulcet

3_5.gif

Le dernier voyage de Tanya
Film russe de Aleksei Fedorchenko
Genre : Drame
Durée : 1h15min
Avec : Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo, Yuliya Aug…
Date de sortie cinéma : 3 Novembre 2010