Armadillo

l’Afghanistan est un pays dont on entend régulièrement parler depuis le milieu des années 70, époque de son invasion par les Soviétiques, suivie d’une guerre civile qui débouche sur la reprise de Kaboul par les talibans contre lesquels les forces alliées de l’OTAN, après les attentats de Septembre 2001, luttent en donnant l’impression d’un enlisement progressif. Parmi les troupes qui constituent la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS), composée de trente-sept nations, dont les américaines et les françaises, les plus nombreuses, sont souvent sous les feux de l’actualité, on compte des représentants en moins grand nombre.

C.’est notamment le cas des Danois avec 700 soldats environ et c’est à  quelques-uns d’entre eux que le réalisateur Janus Metz s’intéresse dans Armadillo, documentaire étonnant et instructif qui porte le nom d’un campement militaire sur la ligne de front d’Helmand, une province au coeur des défis stratégiques, située au sud-ouest du pays. Plus précisément, le film s’attache à  suivre pendant six mois, de leurs classes sommaires au Danemark jusqu’à  leur retour, leur mission de stabilisation et d’aide aux populations locales. Armadillo embarque le spectateur au coeur de la vie quotidienne de jeunes hommes se métamorphosant sous nos yeux ébahis, puis révulsés, : de craintifs et maladroits, Mads, Daniel, Mini, Rasmus et leurs potes témoignent d’une impatience grandissante à  aller en découdre avec l’ennemi, à  la fois invisibles et tellement proches, alors que les familles civiles fuient et refusent la coopération ouverte de peur de représailles sanglantes. La guerre perçue comme une drogue ou une étrange odyssée, sorte de trip psychédélique, capable d’ébranler les convictions les plus pacifistes et de modifier la personnalité intime, ce n’est pas inédit et nombreux sont les (grands) films à  l’avoir abordée, de Full Metal Jacket à  Valse avec Bachir, du présent traumatisant, mais ancré dans l’action la plus concrète se traduisant par la mort d’hommes, afghans ou alliés, à  l’après du contrecoup et des cicatrices psychologiques impossibles à  guérir. Sur quelques hectares de désert, de pierres et de poussière, on plonge en apnée dans l’absurdité de ce conflit, qui brise l’élan sincère et fraternel de volontaires devenus bouchers fiers de leurs faits d’armes, répétés et enjolivés à  l’infini. Sans jamais juger ceux qu’il filme, Janus Metz se limite à  la captation de scènes presque irréelles, une impression que renforce le parallèle entre monde virtuel (les jeux vidéo que prisent particulièrement les soldats) et les événements tangibles du terrain. Mais c’est aussi la forme du documentaire qui le fait ressortir du lot, : en effet, le réalisateur opte pour une mise en scène polymorphe, différente selon qu’il est au sein des affrontements ou à  l’intérieur du campement pour les séances de débriefing ou les moments de répit (les tours de motos dans la cour ou la baignade dans la rivière), se saisissant en tout cas des codes fictionnels (pas de témoignages ni d’interviews, mais des dialogues) et semant du coup le doute chez le spectateur.

De la même manière qu’Ari Forman inventait une forme, Janus Metz dynamite les règles inhérentes au documentaire, en créant une porosité porteuse d’ambigüité entre fiction et réel. Les compositions de Uno Helmersson participent également à  la subjugation que ne manque pas de procurer Armadillo, film choc qui bouscule le spectateur en faisant vaciller ses certitudes et naître des questions demeurant sans réponses.

Patrick Braganti

Armadillo
Documentaire danois de Janus Metz
Durée : 1h40
Sortie : 15 Décembre 2010

La bande-annonce :