Vampires, de Thierry Jonquet

Que la frustration est âpre et lourde lorsque l’on parcourt les dernières lignes du roman posthume et inachevé de Thierry Jonquet, Vampires. Un flot de mots interrompus par la mort de leur père et qui ne demandaient qu’à  courir encore sur le papier. Thierry Jonquet, l’auteur de Mygale et de quelques autres pépites, a pris le large vers le cimetière, emportant avec lui les secrets de son intrigue.

L’histoire commence pour ne jamais finir. Il y a un début passionnant, à  peine un milieu, et le fantasme d’une fin qui repose six pieds sous terre. Qu’il est triste et rageant d’être coupé au milieu du récit, comme si un voleur à  la petite semaine vous arrachait le roman des mains. On a alors envie de secouer frénétiquement le livre, comme on réveillerait les morts pour faire tomber les mots sur des pages qui n’existent pas. Mais si la frustration est grande, le plaisir demeure intact. Pas moins de 184 belles pages pour ce qui aurait pu devenir le chef-d’oeuvre de son auteur. L’écriture est subtile et l’humour noir côtoie le sordide dans cette histoire où une famille de vampires a élu domicile en plein coeur de Belleville, quartier cosmopolite où vivait Thierry Jonquet. L’auteur affiche ici une approche (enfin!) originale et fine sur le mythe du vampire, recuisiné trop de fois à  la même sauce. Les vampires de Jonquet sont touchants et s’éloignent des clichés centenaires de leurs modèles.

Auteur engagé, ancien trotskiste, l’auteur nous livre, à  travers le mythe du vampire, une allégorie de la marginalisation sociale, de l’exclusion et des différences. Le roman débute d’ailleurs comme un clin d’oeil avec la description d’un misérable bidonville roumain en périphérie de la capitale. Jonquet jongle ironiquement avec les maux de notre société et permute ses codes. On adore l’idée du Vampire exclu, banni, mais sophistiqué et instruit, qui aime diner à  la Tour d’argent et boire ses bouteilles de grands crus tirées d’un aristocrate mort il y a plus d’un siècle, le bon sang se bonifiant lui-aussi avec l’âge…

Ironie du sort troublante que celle d’un auteur traitant de la mort dans son dernier ouvrage, mais larguant les amarres bien trop tôt. Si les vampires sont (quasi) éternels, Jonquet l’est aussi avec un patrimoine littéraire qui s’inscrira sans aucun doute dans la postérité…

Sabine Sursock

Vampires, de Thierry Jonquet
Édition Le Seuil
Collection Roman noir
184 pages, 18 €¬ environ
Date de parution : 6 janvier 2011