Animal Kingdom

être où il ne voudrait pas être, se trouver propulsé, malgré lui, au coeur d’une histoire dont il n’a pas la maîtrise du déroulement, pion manipulé qui perd petit à  petit l’innocence de sa fin d’adolescence, tel est le parcours tragique et initiatique de Joshua, neveu éloigné d’une famille dans laquelle il fait soudain irruption après la disparition de sa mère, morte d’overdose.

La scène inaugurale suffit à  cerner le personnage de Joshua, : alors que sa mère agonise, il regarde un jeu stupide à  la télévision dont il ne parvient pas à  se détacher, y compris en la présence des policiers. Hébété, paraissant dépasser par les événements qu’il subit, Joshua n’en est pas moins le pivot de Animal Kingdom, premier long-métrage époustouflant de l’australien David Michôd, ancien étudiant en littérature et philosophie converti au cinéma. La fréquentation assidue des romans influence certainement l’apprenti scénariste dans l’écriture tant la construction du film en témoigne par la densité de la narration et la caractérisation de tous les personnages, fouillés et complexes. Animal Kingdom nous plonge au sein d’une famille de criminels, ou plutôt d’une meute affamée dirigée par une mère dévoratrice, louve protectrice et manipulatrice de ses quatre fils, auteurs de braquages, fraudes et deals divers. l’inclination perverse et vénéneuse de la mère rejaillit sur le microcosme familial, dont on assiste à  l’éclatement progressif, par le biais du travail de sape et d’infiltration conduit par un policier habile et machiavélique. Proie candide, Joshua devient l’enjeu de la lutte entre police et délinquants qui marque aussi la fin d’une époque pour le foyer maudit, comme s’il jouait le chien au milieu du jeu de quilles, provoquant par sa seule présence le déséquilibre et la chute du foyer.

Extrêmement oppressant et claustrophobe, le film réussit à  suggérer plus qu’il ne l’expose frontalement, la violence sous-jacente et la peur qui colle à  l’existence des personnages, notamment les quatre oncles de Joshua, plus ou moins drogués, allumés et paranoîaques, qui instrumentalisent aussi le garçon. Ici la perte de la naîveté et de l’innocence s’accompagne de l’impossibilité à  s’extraire de sa condition et de son environnement, prouvant la puissance du déterminisme social. En quelques semaines, l’adolescent passif et marmonnant est rattrapé par son milieu et ses origines.

D.’une noirceur douloureuse, Animal Kingdom refuse de juger et de susciter la moindre empathie. Il multiplie les ambiances nocturnes et les prises en plans serrés sur les visages tourmentés, propices à  créer une atmosphère progressivement angoissante et pathogène. Sophistiqué dans sa mise en scène, le film rappelle d’évidence le meilleur du cinéma de l’américain James Gray (Little Odessa et The Yards) dans l’observation méticuleuse de la désintégration d’un clan familial, rongé par le mal auquel il n’est pas possible d’échapper. Animal Kingdom n’offre à  cet égard aucune équivoque et cette rigueur implacable associée à  la sobriété d’un travail qui évite facilité d’effet et complaisance en fait incontestablement un très grand film sombre, possédant et affichant les moyens d’une ambition entièrement maîtrisée.

Patrick Braganti

Animal Kingdom
Drame australien de David Michôd
Durée, : 1h52
Sortie, : 27 Avril 2011
Avec Guy Pearce, James Frecheville, Jacki Weaver, »

La bande-annonce, :