The Tree of Life

Cinéaste rare, puisqu’il n’a réalisé que cinq films de 1973 à  aujourd’hui, l’américain Terrence Malick est le porte-drapeau d’un cinéma ample, exigeant et ambitieux tant dans la forme que dans le fond. Depuis son troisième long-métrage (La Ligne rouge en 1998), l’oeuvre paraît se radicaliser davantage, parcourue de questions métaphysiques, versant dans un certain mysticisme et une propension de plus en plus flagrante à  la juxtaposition de la réalité tangible et la perception décalée de celle-ci. Le soldat Witt réussit mal la confrontation entre une guerre sanglante et violente (la bataille de Guadalcanal dans le Pacifique) et une nature luxuriante et apaisante au milieu de laquelle il se perçoit comme un intrus et, pire, un destructeur. Le Nouveau Monde (2005) met de la même manière en évidence le hiatus entre indigènes et colonisateurs, quelque part sur la côte est de l’Amérique du Nord au XVIIe siècle. Jusqu’alors, l’Histoire avait un rôle prépondérant dans les deux précédents opus du réalisateur de La Balade sauvage.

The Tree of Life – qui vient de recevoir la Palme d’Or au dernier festival de Cannes – explose la dimension temporelle alors qu’il resserre le champ d’investigation autour d’une famille américaine (les parents et leurs trois fils) durant les années 50. Sorte de poème cosmique et hymne à  la vie, le film met en parallèle la genèse de l’humanité et la jeunesse difficile de l’aîné de la famille, élevé à  la dure par un père autoritaire et un peu cinglé. La référence ultime, lorsqu’on évoque l’épopée de l’humanité et le retour au berceau de cette dernière, reste sans conteste le chef d’oeuvre de Kubrick, : 2001, l’odyssée de l’espace. Mais là  où le cinéaste new yorkais imprimait mystère et lenteur à  son film, Terrence Malick accumule jusqu’à  plus soif des images virtuoses qui font plutôt penser aux reportages ripolinés du documentariste Yann Arthus-Bertrand ou aux émissions tout aussi léchées du National Geographic. La portée philosophique du propos nous échappe totalement. Passé cette longue entrée en matière, le film s’arrête dans la partie centrale sur la famille, : naissance, premiers pas, jeux d’enfants, autoritarisme grandissant et à  peu près inexplicable du père, décès d’un des enfants quelques années plus tard, culpabilité et »questionnements sans fin sur le sens de la vie.

l’absence de narration, comme celle des dialogues réduits à  la portion congrue, n’est pas en soi un problème. Les voix off sont omniprésentes, égrenant des questions qui se voudraient profondes et qui sonnent paradoxalement vaines et banales. La dimension mystique semble tomber complètement à  plat parce qu’elle est hors propos, déplacée, incongrue. Cette incongruité se transmet à  l’ensemble du film, lourd, grandiloquent et prétentieux, mal servi par une musique envahissante et pompière. S.’il faut tant soit peu sauver le film, c’est dans la production d’une image (réelle, pas de synthèse) reconnaissable entre mille, nimbée d’une lumière intérieure. Mais là  aussi, les cadres et les mouvements de caméra se répètent à  l’infini, refusant le moindre arrêt, la plus petite respiration, multipliant ad nauseam les plans.

Bien sûr, quelques moments de fulgurance subsistent, : le garçon qui joue l’aîné meurtri et rebelle (Hunter McCracken) est absolument fantastique. Il a dans le regard et le port de tête les mêmes expressions douloureuses et perplexes que le soldat Witt. Cependant, tout ceci paraît bien long, ennuyeux et surtout tourner à  vide. l’expérience sensorielle n’est guère concluante tant elle s’apparente à  un vaste foutoir où tout se mélange et s’amalgame sans que notre mémoire puisse en conserver quelque chose. Elle vire de plus en plus à  une sorte de délire new age, qui produit un effet grotesque.

Au fond, la messe – c’en est une, le divin est omniprésent – est franchement longue et souvent indigeste. Ce serait supportable si elle s’accompagnait d’une forme novatrice et captivante, d’un ébranlement chez le spectateur ému. Hélas, cet objectif est rarement atteint, cédant la place à  un terrifiant prêchi-prêcha semblant jaillir du fond des temps. Décidément, les anciens cinéastes américains (Clint Eastwood hier, Malick à  présent) ratent dans les grandes largeurs leur oeuvre testamentaire. l’éléphant a manifestement accouché d’une souris.

Patrick Braganti

The Tree of Life
Drame fantastique américain de Terrence Malick
Durée : 2h18
Sortie : 17 Mai 2011
Avec Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain, …

La bande-annonce :