La Piel que Habito

Disons-le tout de suite : l’auteur de ces lignes est loin d’être un  » Almodovarien » pur jus – juste un curieux parfois de son cinéma – et ce n’est pas ce dernier opus qui va clarifier les choses, juste le rendre de nouveau perplexe. Difficile en effet d’aborder La Piel que Habito, nouveau film du cinéaste-star, en le résumant uniquement à  son genre, un thriller fantastique adapté d’un polar de Thierry Jonquet, variation policière autour d’un chirurgien esthétique incarné par Antonio Banderas aux étranges recherches. Un récit volontairement horrifique aux implications complexes (qui est cette jeune Véra – la nouvelle venue Elena Alaya – dans la villa ultra-sécurisée du docteur : patiente ou captive, ?) permettant une fois de plus à  Almodóvar d’aborder ses thèmes intimes, : transgression morale, obsession du corps, identité sexuelle. Parfait, alors, ? C.’est vite dit, :, , ,  ce serait omettre le caractère volontiers distant des derniers films d’Almodóvar (remarquez qu’il a fait disparaître son prénom) devenus froides machines cinématographiques d’une complexité narrative voulue et d’une obsession plastique constante. Comme si l’ex-cinéaste de la Movida avait conservé ses penchants feuilletonesques remplis de rebondissements improbables pour ses histoires et stylisé sa mise en scène en épure glacée jusqu’à  la distanciation.

Ainsi, La Piel que Habito se veut une histoire de fous, succession,  d’actes monstrueux filmée de la manière la plus froide et détachée.  » Le maestro,  » Pedro y pousse encore à  l’extrême ses procédés habituels, au risque de lasser : il évoque encore plus la mémoire de films célèbres, un goût pour le méta-cinéma systématique chez lui (hier Douglas Sirk ou Fassbinder, aujourd’hui Les Yeux sans Visage de Franju pour l’ambiance, Vertigo d’Hitchcock pour la recréation d’un amour perdu, Tristana de Buñuel pour l’érotisme malsain), ; il renforce l’aspect grand-guignol improbable de son récit horrifique digne d’un giallo italien des années 70, avec grande demeure isolée, seconds rôles ambivalents et chirurgie terrifiante, ; et,  radicalise son utilisation des récits-gigognes,  (flash-back très explicatif et  » révélation,  » centrale).

Pour le dire familièrement, Almodóvar a pas mal chargé sa barque, l’ensemble tournant à  l’exercice de style aux ambitions virtuoses confirmant du coup un aspect qui m’a souvent gêné dans le cinéma almodovarien, assez surestimé. Un cinéma voyant exhibant ses origines, étalant ses références, montrant en fait ses  » coutures,  » (allusion facile pour ceux qui verront le film) et n’ayant pas peur de paraître fabriqué, comme le monstre de Frankeinstein et comme la Vera que couve Antonio Banderas, quasiment un corps de synthèse.

Qu.’Almodóvar pratique également un cinéma de synthèse n’aurait rien de dommageable si celui-ci, trop corseté dans sa maîtrise et son délire distancié – comment avaler tant de,  péripéties n’ayant pas peur du grotesque, voire du ridicule ? –  empêchait de vraiment ressentir et d’éprouver un trouble durable au risque de produire le sentiment d’être peu concerné. Le cinéma d’Almodóvar, depuis toujours préoccupé par la chair et ses pulsions, ne me semble pas ici si  » incarné,  » que le mériteraient ses préoccupations sur la nature humaine et ses tourments.

Pourtant le film, d’une noirceur viscérale confinant à  la misanthropie, pose de bonnes questions sur le fantasme, la perversité masculine, la folie de la vengeance, la chosification galopante du corps dans une époque en perte de balises morales. Sur la construction et l’identité foncière des êtres, sujet présent depuis toujours chez Almodóvar, surtout.

Mais, si peu défenseur des tocades foldingues du cinéma  » almodovarien,  » d’antan, il me semble que les mêmes questions passaient pourtant mieux dans les péripéties baroques chaleureuses de Tout sur ma mère ou Volver, que dans cette sombre machine, se voulant brute et glacée comme le cinéma conceptuel d’un Michael Haneke.
Si les aficionados du réalisateur madrilène sont déjà  à  la noce avec ce nouveau film, en ce qui me concerne, ce n’est pas encore vraiment pour cette fois d’être convaincu ou de me rallier enfin à  leur cause. À vous d’essayer, maintenant, qui sait, ?

Franck Rousselot

La Piel que Habito (2011)
Thriller espagnol de Pedro Almodóvar
Durée, : 1h57mn
Sortie, : 17 août 2011
Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes,  »

La bande-annonce :