Les Géants

Rien n’est plus plaisant que de voir s’épanouir le talent d’un cinéaste. Avec son nouveau et troisième film Les Géants, le comédien-réalisateur Bouli Lanners confirme sa nature de  » belgicain » porté sur le grotesque, son attirance pour le marginal, son goût pour les chemins de traverse, toutes choses déjà  à  l’oeuvre dans ses précédents films, Ultranova et surtout le formidable Eldorado.

Mais, encore mieux, il affine son regard pertinent et tendre sur l’enfance ou plutôt sur son difficile basculement vers l’âge adulte. Si Eldorado voyait des adultes largués fuir leur situation en se comportant en enfants inconséquents, Les Géants voit ses jeunes héros confrontés prématurément à  des problèmes d’adultes.

Conte drolatique et élégiaque filmé à  hauteur d’enfant – en fait à  travers leurs yeux Les Géants, allie insouciance de la jeunesse et constante âpreté de leur situation, : trois pré-ados, deux frères et leur copain, livrés à  eux-mêmes dans la maison de vacances familiale, confrontés à  un monde hostile, le nôtre, : celui des adultes.

Trois petits poucets au coeur vaillant qui tentent de faire face à  l’âge où faire les quatre cent coups est si tentant. Dérisoires et hilarants délires (fumer de l’herbe, piller  » gentiment,  » une maison, entre autres) comme des chiens fous s’étourdissant pour braver la cruauté du monde extérieur. Si ce road movie, forcé s’avère constamment réussi, il le doit à  la simplicité et à  la nonchalance de son récit qui semble s’inventer à  l’écran en collant au plus près des pérégrinations de ses jeunes héros, filmant avec un naturel qui dédramatise des situations anormales et incongrues, : une mère désespérément absente, des adultes violents, un dealer patibulaire, rapace et escroc.

La force de vie des enfants et la nature estivale splendide qui abrite leurs déboires tirent le film vers la lumière et l’espièglerie, bénéficiant de l’excellence de son trio central de jeunes acteurs, confondants de naturel et de justesse – Zacharie Chasseriaud, le plus jeune, en tête. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière une insouciance de façade, la gravité se fait sentir, la sensation d’abandon, l’exclusion, une possible clochardisation, l’univers naturel inquiétant. Derrière Tom Sawyer, guette la noirceur de Délivrance ou de La Nuit du Chasseur.

Des références américaines évidentes au regard de la mise en scène du cinéaste qui filme le Luxembourg comme les grands espaces du Montana, : splendides images en Scope d’une nature épanouie, lumière d’un été triomphant, fleuve Missouri local pour un possible havre de paix qui abriterait nos canetons perdus. Bercée d’une,  pertinente B.O. originale, folk plaintif à  la Bonnie †˜Prince.’ Billy (signée The « Bony King of Nowhere, disciple belge!), l’aventure est une fuite d’apparence rieuse mais au dénouement ouvert impossible à  prévoir.

Lumineux et doux-amer, Les Géants ne procurerait pas autant de plaisir pour sa liberté cinématographique sans la discrète inquiétude que l’on sent, sous-jacente tout du long. Jamais insistant, toujours précautionneux et subtil, c’est pour ce que le film montre en creux qu’on l’aime, : il fait bien de s’attarder sur le diablotin angélique Zackarie Chasseriaud et sa bouille de bébé à  la moue renfrognée, touchant alter ego du spectateur. Ce qui passe dans les scènes de regards muets entre Zak et ses compères, de la prise de conscience à  la boule au ventre contenue, est d’une justesse indicible.

En clair s’il fallait remercier Bouli Lanners, c’est surtout pour la pudeur extrême qui caractérise son approche et le constant ravissement d’avoir vu un film précieux. Merci l’artiste, !

Franck Rousselot

Les Géants
Comédie dramatique,  belge de Bouli Lanners
Sortie, : 02 novembre 2011
Durée, : 01h25
Avec, : Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen, Paul Bartel, Marthe Keller «