Toutes nos envies

Ce qui était le plus réussi dans Welcome, le précédent long-métrage de Philippe Lioret, était directement lié à  sa part documentaire, : en effet, le réalisateur montrait sans artifice ni militantisme le quotidien de clandestins bloqués à  Calais, à  la recherche de solutions, fussent-elles extrêmes, pour traverser la Manche et rejoindre l’Angleterre. Mais les soucis conjugaux du maître-nageur prenaient de plus en plus d’importance et renvoyaient ainsi ceux du jeune immigré dans un arrière-plan pour le moins gênant. à‚ force d’être constamment sur la brèche, de craindre de tomber dans le lacrymal et le sentimental, Philippe Lioret court le risque de diriger des mises en scène manquant d’envergure et d’audace, parce que souffrant d’un excès de contrôle et d’affadissement.

C.’est manifestement l’étape qu’l franchit avec Toutes nos envies, adaptation partielle et hors-sujet du récit d’Emmanuel Carrère, : D.’autres vies que la mienne, dont il oblitère l’axe majeur, à  savoir comment et pourquoi l’existence des autres interagit sur nos propres vies. Le cinéaste se limite donc à  deux aspects purement factuels du livre, : le travail, confinant au sacerdoce, de deux juges, Stéphane et Claire, face à  la problématique très contemporaine du surendettement et la maladie incurable de la jeune femme, qui confère à  l’engagement professionnel un caractère d’urgence et qui instaure entre le duo de magistrats une relation unique et privilégiée, mélange d’amitié, de complicité et de respect. Les questions relevant des procédures à  propos de la législation floue et, par conséquent, propice aux interprétations les plus diverses donnent lieu à  des scènes de tribunaux et de rencontres dans le bureau des juges sans grand intérêt, voire à  peu près incompréhensibles dans la stratégie mise en place par Stéphane et Claire qu’elles dessinent. Pis encore, le film tend à  se resserrer sur l’évolution des rapports entre les deux juges et transforme l’enjeu du combat judiciaire en cause personnelle censée embellir la mort prochaine ou lui donner sens.

Du coup, le scénario parfois elliptique minore la présence de la famille de Claire – alors que l’accompagnement de son mari jusqu’à  ses derniers instants donnait naissance aux pages les plus marquantes du récit de Carrère. Un autre personnage secondaire pose également problème, : Céline, la voisine victime du surendettement, affiche l’acceptation de la fatalité et de la soumission avec un sourire triste et une humeur égale qui sonnent faux car la révolte et la colère en sont étrangement absentes. Au final, c’est l’ensemble de Toutes nos envies qui manque d’indignation et de chair pour l’incarner. Hormis quelques paroles définitives et quelques séquences fortes, le film s’avère particulièrement plat, presque ennuyeux, plombé par le jeu à  présent balisé et sans surprise de Vincent Lindon, rehaussé heureusement par la fraicheur soudain ternie de la juvénile et attachante Marie Gillain.

Manquant de relief et souffrant de l’absence d’un véritable projet esthétique et scénaristique, Toutes nos envies épouse davantage le format du téléfilm, surfant à  la fois sur le sujet de société et sur l’émotion du malheur privé. Une démarche d’association qui réussit néanmoins à  tenir à  distance l’obscénité du regard.

Patrick Braganti

Toutes nos envies
Drame français de Philippe Lioret
Sortie : 9 novembre 2011
Durée : 02h00
Avec Vincent Lindon, Marie Gillain, Yannick Rénier, Amandine Dewasmes,…