Le rêve du Celte, de Mario Vargas Llosa

C.’est avec une certaine impatience que l’on attendait la traduction française du Prix Nobel de littérature 2010, obtenu par l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa pour  » Le rêve du Celte « . Et c’est avec un certain bonheur que l’on se laisse embarquer dans ce grand roman historique racontant les aventures et le parcours hors-norme du diplomate et indépendantiste irlandais Roger Casement (1864 – 1916).

Fasciné par les récits de son père, Roger se passionne très tôt pour les voyages et les colonies de l’Empire britannique. Arrivé à  l’âge adulte, il se lance alors dans des expéditions menées au coeur des forêts du Congo belge. Encore naîf, habité par l’idéal colonial prétendant apporter le progrès, la civilisation, le libre commerce et l’évangélisation aux populations indigènes, le jeune Roger Casement se rend peu à  peu compte que ces idéaux brandis par les Occidentaux, ne sont que des prétextes visant à  justifier l’asservissement des populations et le pillage de régions entières. C.’est à  partir de cette prise de conscience que Roger Casement va devenir consul de Grande-Bretagne et se chargera de rédiger un Rapport pour la Couronne d’Angleterre, dénonçant les tortures et les exactions menées dans les colonies du roi Léopold II. Après vingt ans de vie en Afrique et la diffusion de ce Rapport qui bouleversera l’opinion publique sur les conditions de vie des indigènes, Casement réitère son expérience pendant un an dans les plantations de caoutchouc du Putumayo, région que se disputent le Pérou et la Colombie et qui connaît elle aussi une atroce exploitation.

Vargas Llosa propose ainsi une incroyable description des colonies : voyages interminables en bateau, piqûres de moustiques, palu, forte humidité et chaleur accablante, conjonctivite, arthrite, hémorroîdes et insomnies accablant notre pauvre Casement, odeur insoutenable du caoutchouc extrait des arbres ou de saleté dans les favelas. Et, au milieu de toutes ces douleurs physiques, se dessine un mal plus radical encore : la malignité des hommes. Leur avarice, leurs mensonges, leur intolérable cruauté, et les maux qu’ils s’infligent les uns aux autres. Pourtant, dans ces régions où règnent les pires barbaries, les hommes ne sont pas condamnés à  se laisser corrompre. Casement et d’autres  » justes  » qu’il rencontre dans ses expéditions et avec qui il collabore, s’efforcent de dénoncer l’exploitation, la torture et le viol.
De là ,  » Le rêve du Celte  » nous offre une complexe  » cartographie des structures du pouvoir  » d’après les termes mêmes du jury du Prix Nobel. Face à  l’incrédulité des autres consuls et des hauts représentants politiques ou industriels ne voulant croire ce qu’il dit avoir vu, Roger Casement entame d’interminables négociations faites de sous-entendus, de pressions et de menaces.  » Le rêve du Celte  » rend bien compte du conflit perpétuel entre les intérêts économiques d’une société industrielle, et la défense des Droits de l’homme que la démocratie prétend pratiquer.
Et c’est justement en étant témoin privilégié des atrocités du colonialisme que Casement prend conscience de son appartenance et de sa vraie identité, qui est irlandaise et non anglaise.  » Ce voyage dans les profondeurs du Congo m’a servi à  découvrir mon propre pays. A comprendre sa situation, son destin, sa réalité. (« ) J.’y ai aussi trouvé mon moi véritable : l’incorrigible Irlandais.  » Il comprend alors que l’Irlande est aussi une colonie de l’Empire, et va dès lors tout mettre en oeuvre pour qu’une résistance se forme et une révolte armée éclate.  » Le rêve du Celte  » c’est avant tout l’espoir de connaître une Irlande à  nouveau libre, renouant avec ses traditions, ses chants, sa langue et ses mythes, ainsi qu’avec sa religion, le catholicisme. Roman  » de résistance et de révolte  » donc, mais qui marque aussi  » la défaite de l’individu  » puisque Casement, doublé par l’Intelligence Services, échoue à  faire concorder la révolte de Pâques avec la cargaison clandestine d’armes venues d’Allemagne. Condamné pour haute trahison par la Couronne anglaise qu’il a servie et qui l’avait anobli pour ces Rapports sur les colonies, Casement attend de savoir si un recours en grâce reste possible, et si sa mémoire ne sera pas salie, lorsque l’I.S. mettra la main sur ses carnets personnels, révélant quelques aspects troublants de sa vie intime »

l’on connaissait donc les talents de conteur de Vargas Llosa, qui fut notamment avec Gabriel Garcia Mà rquez ou Julio Cortà zar l’un des chefs de file du renouveau du roman sud-américain à  partir des années 60, et l’on redécouvre ici toute l’étendue de son art, ressuscitant avec brio le destin tragique d’une figure historique tombée jusqu’alors dans l’oubli.

François Salmeron

Le rêve du Celte
roman de Mario Vargas Llosa
Traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès
Editions Gallimard
522 pages ; 22,90 euros
Sortie en France : 6 octobre 2011

2 thoughts on “Le rêve du Celte, de Mario Vargas Llosa

  1. Vargas Llosa a cessé d’écrire depuis plus de trente ans. Ses premières propositions littéraires qui ont fait dire à Cortazar lui-même que Vargas Llosa innovait ont laissé place à l’écriture banale mondialisée des romans écrits depuis Conversation dans la cathédrale. Il a même troqué son identité d’écrivain pour celle de propagandiste des puissances d’argent. N’est-il pas l’ami des réunions type Bilderberg? N’a -t-il pas pris la vilaine habitude de sermonner les peuples responsables selon lui de la crise qui les appauvrit (voir le cas argentin récemment)? N’a-t-il pas eu le prix Nobel pour des raisons toutes simples de politique et de bonne camaraderie? Car en effet, l’ennemi juré du péruvien José Maria Arguedas, celui qui parle depuis Washington ou Londres ou Paris mais pas du tout depuis une Amérique latine qui a besoin que ses écrivains prennent parti pour elle, celui qui aime se réfugier dans les suites présidentielles des grands hôtels de ce monde, celui-là était-il en 2010 l’écrivain latino-américain le plus méritant pour le Prix Nobel?
    Je ne suis pas le seul à en douter.
    Voir le débat passionnant de l’émission argentine Los siete locos:

    Cordialement.

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