Emilie Simon – Franky Knight

Si je voulais jouer ma langue de vipère habituelle, je pointerais cette nouvelle manie de l’indé française qui consiste à  camoufler son nouvel album sous la forme d’une musique originale de film.
C.’était le cas, il y a quelques semaines avec Benjamin Biolay, c’est désormais le cas d’Emilie Simon avec Franky Knight conçu comme la BO du film »La délicatesse« . Une fois mon venin d’ironie balancé dans la foule, je serai pourtant forcé de reconnaître que pour les deux artistes, l’exercice s’avère une réussite. Voici deux compositeurs à  univers comme on dit, qui se tirent de la contrainte de coller aux images avec un brio certain et une patte sûre.

On savait depuis son éponyme album introductif en 2003 que la plus femme enfant de la musique contemporaine entretenait avec la chose filmée des amours vertueuses qui transparaissaient dans la forme de son premier opus canalisé ensuite via l’excellent végétal. l’atmosphère, l’ambiance, l’importance des arrangements et des silences, font partie des savoir-faire de la maison Simon.

C.’est d’ailleurs quand elle a décidé de durcir sa ligne sur le versant pop, quand elle s’est transformée en Kate Bush qui aurait mangé Blondie qu’elle m’a le moins convaincu, au travers de l’album trop brut pour elle, trop rauque pour coller à  l’image de fragilité que la demoiselle transformée en dame continue de véhiculer (et la pochette du nouvel album n’est pas pour nous détromper, Emilie y apparaissant dans un juste au corps de ballerine attablée à  la console de mixage.

Franky Knight parce qu’il contraint l’énergie et canalise les directions musicales, me fait renouer avec le plaisir ressenti à  l’écoute d’Emilie Simon. La demoiselle (on a encore le droit de dire demoiselle, après l’éradication des mademoiselles administratives?) y convie en un petit univers d’atmosphère concentré, tout ce qui nous plait chez Emilie Simon : Des arrangements qui font la part belle à  l’électronique, une voix de jouvencelle, une influence pour le lugubre décalé de Kate Bush, et de fait le goût de la panoplie cinématographique.

l’album s’ouvre sur un titre majestueux, Franky Knight, déclaration d’amour et d’intensité où il est difficile de ne pas voir un hommage à  son compagnon de route, récemment disparu. Emilie Simon saute ensuite de l’Anglais au français, avec une allure de shaman diaphane. Elle alterne au fil du disque les parties plus intimes au frappé de touche qui évoque les piano bars nocturnes des films de Lynch autant que le Paris d’Amélie Poulain, notamment quand le glockenspiel s’en mèle. Elle joue avec les ambiances, les atmosphères.

Les pièces les plus sombres et pas toujours les plus nocturnes sont souvent portées par l’électronique vaporeux de ses premiers albums, rappelant que l’album doit coller au film. Même si je serais très mal placé pour parler de l’adéquation de la musique au film, que je n’ai pas vu (tire pas sur le pianiste, merde, tu crois qu’on a la vie facile ?)

l’éloquence, la grandiloquence, -souvent en français d’ailleurs- est porté par des montées de cuivre, ou de cordes, soutenues par des vocalises quasi enfantines. Mais Emilie Simon déroule ici toute une palette de couleurs, de sentiments. Dans ce domaine, Franky.’s princess est de ces titres qu’on peut mettre pour les soirées parisiennes de salon, quand on a envie de sauter partout ». Mais dans son salon, sur un rythme proche du dancefloor.

A l’addition de toutes ces petites pièces en forme de déclaration d’amour perpétuelle, dont on finit par oublier s’il s’agit de l’hommage personnel ou de la musique de film ; je suis rassuré. Je retrouve avec Franky Knight l’Emilie Simon qui m’avait séduit sur Végétal. Plus maîtrisée dans la forme, plus ample et plus riche aussi de son expérience rock précédente. Franky Knight est un disque plus sombre que bizarre. Etrangement plus moderne aussi que ne l’était végétal par exemple, autre album de sa discographie qui cédait une large part à  l’ambiance et à  l’univers balisé par une thématique : jadis l’élément jardinier ici, la commande de BO.

Franky Knight est de ces disques de crépuscule, qui s’accommode bien des rêveries mélancoliques urbaines. Quand on ressasse, le nez sur un carreau mouillé de larmes de pluie, les mêmes erreurs, les mêmes doutes, les mêmes souvenirs. Bercé par les néons de la ville et les feux arrière des voiture en mouvement.

Denis Verloes

Tracklist


Label: Barclay / Universal
Date de sortie: Décembre 2011

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La critique de Végétal

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