No – Pablo Larrain

Avec No, le chilien Pablo Larrain clôt sa trilogie consacrée à  la dictature de Pinochet, de son avènement à  sa chute. Une chute inattendue, qui doit beaucoup au hasard et au concours de circonstances puisque, après quinze années de régime, le dictateur et son gouvernement décident l’organisation d’un référendum sur le renouvellement de la présidence pour les huit ans à  venir. Les partisans des deux bords auront des temps d’antenne identiques de quinze minutes sur la télévision nationale pour présenter leurs positions et emporter l’adhésion de la population. Nous sommes à  la fin des années 80 et c’est pour la première fois dans un pays corseté et coercitif l’entrée en jeu de la publicité et de la communication. Les défenseurs du non s’adjoignent l’aide d’un jeune et brillant publicitaire, René Saavedra, pour les aider à  mettre sur pied une campagne innovante et convaincante, déjouant les pièges et la surveillance des hommes de Pinochet.

Le réalisateur de Santiago 73, post mortem propose une forme singulière qui mêle adroitement les images d’archives et ses propres plans dans un format 4, :3 en utilisant des caméras à  tube, courantes dans les années 80, pour obtenir cette image saturée et surexposée, au grain dense et sale. Cela donne une esthétique terriblement datée, au-delà  même de l’époque en question, mais qui contribue néanmoins à  la cohérence du projet. Les vingt-cinq ans qui nous séparent à  présent de 1988 paraissent une éternité, l’informatique et la technologie y sont balbutiantes et l’Internet n’est encore que confidentiel. On imagine sans peine ce que serait l’influence aujourd’hui des réseaux sociaux dans une telle période. l’intérêt de No est à  chercher dans le personnage indécis et infantile de René Saavedra (pour lequel l’acteur Gael Garcia Bernal livre sa meilleure composition) qui n’est pas un homme de conviction, si ce n’est celle de son métier de publicitaire. Ainsi les clips de campagne qu’il réalise ne font-ils pas état des exactions du régime, mais prophétisent la joie et l’optimisme qui suivront la chute du dictateur. En ce sens, René Saavedra, se déplaçant sur son skate en oscillant et fluctuant comme s’il naviguait à  vue au gré des courants favorables, est bel et bien un enfant du système néolibéral institué par Pinochet, qu’il parvient à  utiliser à  son avantage tout en profitant également de la lente démocratisation des médias. Il faut se rappeler que le déroulement du référendum est observé de près par la communauté internationale.

René Saavedra qui au départ s’occupe de cette campagne insolite de la même manière qu’il ferait la promotion de micro-ondes s’en saisit aussi pour faire passer ses idées novatrices sur la communication avant de commencer à  comprendre qu’il peut aussi changer les choses par lui-même. Celui qui élève seul son petit garçon (sa maman, une fervente militante, l’a quitté), joue au train miniature et s’alarme que sa voiture puisse être endommagée lors des répressions policières gagne en maturité, même si la victoire finale du non ne semble ni l’atteindre ni l’affecter. Les derniers plans du film alimentent avec force cette impression.

Alors que nous sommes à  un moment décisif de l’histoire chilienne, le film se singularise par sa modestie et son refus de faire de ces instants une fresque romanesque et lyrique. No se présente donc comme la parfaite antithèse de Argo en tournant le dos à  la propagande démagogique et au manichéisme simpliste. C.’est un film emballant et jouissif, complexe et souvent drôle, faisant l’apologie des utopies, du collectif et de l’action, qui confirme l’intelligence de cinéma de Pablo Larrain. , Passionnant et brillant.

Patrick Braganti

4_5.gif

No
Drame historique chilien, américain de Pablo Larrain
Sortie : 6 mars 2013
Durée : 01h57