John Grant – Pale Green Ghosts

Les artistes qu’on ne retrouve pas forcément là  où on les attendait, susceptibles de surprendre leur public et évitant de jouer les fonctionnaires reprenant la même formule ne sont pas si nombreux pour qu’on ne prenne pas la peine de les saluer.

Ainsi, le cas de John Grant dont le premier album Queen Of Denmark s’est imposé comme un classique indie folk, plaçant enfin le doux géant de Denver à  sa place naturelle de compositeur, parolier et vocaliste de premier plan. Fortement attendu, son second opus risque cependant de surprendre ceux qui ne connaissent pas le caractère changeant de l’ex-leader des Czars et son goût de l’indépendance.

Sans prévenir, il s’est mis en tête d’emmener ses mélancoliques ballades sur les terres froides de l’électro-techno, décision prise après sa rencontre avec l’islandais Biggi Veira de Gus Gus. L’homme ne faisant rien à  moitié, hop! déménagement express en Islande avec en plus Sinead O.’Connor en choriste de luxe dans ses bagages. Un bizarre appareillage décousu qui donne naissance en toute logique à  un album décousu, bancal mais plutôt intrigant voire par moments fascinant.

Pale Green Ghosts, toujours nourri de sa voix exceptionnelle, semble capter un John Grant en pleine mue l’oeil rivé vers une autonomie artistique rêvée. Qu’il soit cocon folk des membres de Midlake ou électro pop islandaise, le barbu à  la voix d’or a encore besoin d’un cadre pour faire naître ses chansons-confessions au ton si personnel où se mêlent règlements de compte, auto-flagellation et ironie. Si l’on aurait pu croiser les ballades orchestrées Vietnam, It Doesn’t Matter Him ou I Hate This Town sur l’opus précédent, le reste de ce nouveau cru explore plus franchement le goût de l’artiste pour les rythmes électro et les sons synthétiques.

Ainsi les robotiques Black Belt, You Don’t Have To ou le morceau-titre Pale Green Ghosts sont autant d’étranges tentatives de greffer son art de la mélodie à  l’électro froide la plus radicale dans une couleur proche de Gus Gus (évidemment), The Knife ou, quand la tentation dance-floor s’en mêle, Hot Chip (le très – trop – dance Sensitive New Age Guy).

Résultat inégal, car l’auteur de I Wanna Go To Marz, un pied dans chaque genre, a du mal à  faire coexister sur un seul disque deux facettes si diamétralement opposées. Pour autant, résultat réjouissant dans ses réussites, quand la gravité lyrique se marie à  un magnétisme synthétique (Ernest Borgnine, Why Don’t Why You Love Me Anymore, illuminé des vocalises de l’irlandaise présente sur trois titres) affichant au grand jour ses racines franchement eighties.

Car, plus que d’un esprit contemporain, Pale Green Ghosts est nourri de l’amour de Grant pour la techno pop de sa jeunesse, ses claviers analogiques vintage, ses nappes synthétiques et fait songer plus d’une fois à  une relecture des territoires glacés des pionniers John FoxxGary, Numan, Alan Vega, Soft Cell, ou Depeche Mode période Vince Clarke… Une madeleine personnelle assumée, la tête haute, piste probable pour une nouvelle voie à  suivre qui n’a que le tort d’être difficilement en harmonie avec le versant classico-acoustique qui continue à  faire sa marque (symphonique et superbe Glacier  final).

Un disque bipolaire, autant déroutant que stimulant, qu’on pourrait évaluer à  la hausse avec le temps et qui capte un John Grant toujours jubilatoire question paroles (« I am the greatest motherfucker that you’ll ever gonna meet !« ) au destin grand ouvert, encore inédit et riche d’options multiples. Un type nullement fantomatique mais définitivement attachant.

Franck Rousselot

 

John GrantPale Green Ghosts
Label : Bella Union / Cooperative Music
Date de sortie : 11 mars 2013

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