Grigris – Mahamat Saleh Haroun

Film qui mêle et fait coexister le sordide au merveilleux, film politique qui se teinte d’une ambiance de polar, enfin film qui peut légitimement s’enorgueillir d’une ambition formelle déployée dans la lenteur des plans, l’exposition et le langage des corps, la palette des couleurs qui crée une atmosphère sensuelle et moite. Le principal corps exposé est celui de Grigris qui, malgré sa jambe gauche morte l’obligeant à  claudiquer de manière presque cocasse si elle n’était d’abord douloureuse, se rêve en danseur. Qu’il se produise dans le dancing local ou en solitaire, dans un hangar ou sur un toit, c’est à  chaque fois le même instant de grâce et d’oubli d’un handicap dont il fait alors un élément de ses incroyables chorégraphies. Dans le besoin impérieux de trouver de l’argent pour payer l’hôpital qui soigne son oncle mourant, Grigris qui en pince pour la charmante Mimi qui, elle, se verrait bien mannequin, s’acoquine avec des trafiquants d’essence.

Le réalisateur tchadien, auteur des déjà  remarqués Daratt saison sèche et Un Homme qui crie, parvient à  déjouer les pièges d’un scénario qui pourrait aisément basculer dans l’apitoiement, le drame et la violence. Si le pire est toujours possible, il prendra peut-être des voies détournées. En attendant, Mahamat Saleh Haroun montre sans fioritures ce qu’est l’existence d’un jeune homme sérieusement mutilé qui doit se débrouiller et faire preuve de ruse et d’intelligence pour survivre comme danseur, photographe ou réparateur de radios. L’envoûtement que suscite globalement Grigris provient pour une large part de l’acteur Souleymane Démé, source d’inspiration directe. Au-delà  de sa démarche singulière qui provoque presque le malaise, le mutisme, l’extrême douceur et l’intensité de son regard hypnotique font de son personnage un être terriblement attachant et fascinant. Imbriquant avec subtilité documentaire et fiction, le réalisateur courageux tient à  bonne distance l’allusion pittoresque ou folklorique pour tisser une histoire terrible où l’instinct de survie, porté notamment par l’amour, triomphe des mauvais coups de la vie.

Patrick Braganti

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Grigris
Drame français, tchadien de Mahamat Saleh Haroun
Sortie : 10 juillet 2013
Durée : 01h41