10 films de chevet de Jean-Baptiste Doulcet

Choisir 5, 10, 15 ou 20 films, ou plus encore, c’est réduire sa propre vision du cinéma à  l’essentiel. C’est faire des choix difficiles pour faire comprendre au mieux nos goûts et nos sensibilités, sans prétention aucune, sans asséner aucune vérité car nous avons tous des coups de coeur différents, des oeuvres d’art qui s’imposent à  nous comme des fulgurances, autrement dit des oeuvres de chevet pour simplifier le principe. Ici 10 films par rédacteur, 10 films pour lesquels nous avons une particulière affection, mais plus encore : une grande fascination et la sensation que le temps et la mémoire ne les détruiront pas. Autant de longs-métrages singuliers, qui perpétuent le rêve ou la réalité ou un au-delà  qu’on ne verra qu’au cinéma. Des films qui ne répondent pas forcément à  l’unanimité critique ou publique habituelle, mais qui dépassent à  l’intérieur de chacun la notion de critique, même si chacun de nous dans la rédaction pourrions défendre le choix des autres différemment. Le principe est donc simple : 1 rédacteur = 1 liste de films immanquables, dont les mini-commentaires joints à  chaque titre n’ont pour vocation que de vous donner l’envie de s’y précipiter si ce n’est pas déjà  fait!

10 films de chevet de Jean-Baptiste Doulcet :

MULHOLLAND DRIVE,  de David Lynch (USA / 2001) avec Naomi Watts, Laura Elena Harring, Justin Theroux…
Une rare sensation d’infini ressort de cette oeuvre d’une autre dimension, extra-terrestre et qui semble concue et ressentie avec le cerveau et le regard d’une intelligence supérieure. Un labyrinthe qui déroute à  chaque nouvelle vision, jusqu’à  une perte des repères vertigineuse et sans égale profondeur.

LA BALADE SAUVAGE de Terrence Malick (USA / 1973) avec Sissy Spacek, Martin Sheen…
Le plus beau premier film réalisé, une ôde à  la nature qui parle un nouveau langage de cinéma, celui de l’anti-psychologie et de la participation du spectateur envers un récit qu’il admire sans comprendre les faits, qu’il déguste alors qu’il est d’une violence rebelle et incompréhensible. Une communion avec l’ultra-liberté jusqu’à  la tragédie de la violence, libératrice, explosive et pourtant si douce.

LES CLIMATS de Nuri Bilge Ceylan (Turquie / 2006) avec Ebru Ceylan, Nuri Bilge Ceylan, Nazan Kesal…
Balade sentimentale dans le quotidien d’un couple à  travers le saisons. Cadreur de génie, captant les atmosphères amoureuses et érotiques les plus impalpables dans des milieux naturels, Nuri Bilge Ceylan est l’un des plus grands cinéastes en activité. Il faut se laisser prendre dans les silences, les langueurs, la pesanteur des choses, et savourer la simplicité sublime et lumineuse de son cinéma.

TROPICAL MALADY de Apichatpong Weerasethakul (Thaîlande / 2004) avec Sakda Kaewbuadee, Banlop Lomnoi…
Film hybride à  la frontière des genres et des possibles, ce double-film en forme de comédie sociologique et de légende ancestrale sonne comme le premier cinéma du monde. Un univers d’effets grotesques qui rend au cinéma sa fonction première que le temps a oublié : la sensation d’être devant un spectacle de la magie, où les hommes se transformeraient en animaux, où la jungle serait le temple de la peur, où l’on verrait l’âme des boeufs errer dans la forêt. Primitif et contemporain à  la fois.

MEURTRE DANS UN JARDIN ANGLAIS de Peter Greenaway (Grande-Bretagne / 1982) avec Anthony Higgins, Janet Suzman, Anne-Louise Lambert…
Et si, plutôt que de citer Kubrick comme le dernier inventeur formel du cinéma, on s’attardait un peu plus sur Peter Greenaway? Dur de choisir un de ces films plus qu’un autre, mais peut-être celui-ci est-il plus accessible. Ne vous fiez pas au titre, la thématique du film concerne la perspective du regard. Un laboratoire d’inventions stylistiques, narratives, un film qui façonne le cinéma au sens véritable de la notion de métamorphose et de recherche intellectuelle, comme peu d’autres savent le faire.

UN ANGE A MA TABLE de Jane Campion (Nouvelle-Zélande / 1990) avec Kerry Fox, Alexia Keogh, Karen Fergusson…
Le portrait évanescent d’une vie terrible où toutes les fascinations qu’a,  Jane Campion trouvent corps dans ce long récit d’un destin poétique. Formellement d’une maturité extraordinaire, raconté dans la candeur de l’enfance, puis dans la rébellion adolescente et enfin par le regard existentialiste du monde adulte, Un ange à  ma table est le chef-d’oeuvre d’une cinéaste immensément douée, malheureusement palmée pour son film le moins naturel, La leçon de piano.

MERE JEANNE DES ANGES de Jerzy Kawalerowicz (Pologne / 1961) avec Lucyna Winnicka, Mieczyslaw Voit…

Le cinéma polonais allant de 1960 à  1980 est un peu méconnu du système européen malgré la présence de plus en plus vitale de Kieslowski à  cette époque. Le courant du cinéma n’a semble-t-il pas voulu retenir Kawalerowicz, l’un des modernisateurs du cinéma d’action et d’épouvante tout comme du suspens psychologique. Histoire de possession dépouillée au maximum d’effets pompiers et de surcharge dramaturgique, Mère Jeanne des anges parle à  la perfection un double langage rarement retrouvé au sein des diverses cinématographies qu’il annonce : celui du découpage technique – au cordeau – et de la direction d’acteurs – inventive, électrique, folle.

MORT A VENISE de Luchino Visconti (Italie / 1971) avec Dirk Bogarde, Bjorn Andresen, Silvana Mangano…
Le cinéma de Visconti, d’habitude sublimement excessif et démesuré, voire décadent et mégalo, trouve ici un point d’ancrage romantique et sensationnel qu’il n’a jamais retrouvé ailleurs. Pensé comme un théâtre mouvant, la mise en scène (où la scénographie devrait-on dire ici) retransmet et provoque une fièvre amoureuse sans égal, par l’abondance d’une pureté esthétique/extatique. C’est une magie de cinéma qui ne s’explique pas, un final extra-cinématographique, une émotion non-identifiable, non-recréable.

LE VOYAGE DE CHIHIRO de Hayao Miyazaki (Japon / 2001) avec les voix de Rumi Hiiragi, Miyu Irino, Tatsuya Gashuin…

Il n’y a pas eu dans le monde du cinéma d’animation un artiste qui ait été aussi inspiré et renouvelé qu’Hayao Miyazaki. Scintillements de l’enfance, poème de la Nature en des paysages verdoyants dans lesquels on voudrait plonger, critique des ravages nucléaires sur la Terre et sur toute forme de vie (humaine, végétale, animale), contes mythologiques issus d’un inconscient collectif, Miyazaki cultive le rêve, occulte la triste réalité pour un paradis d’extase coloriste et enfantine, au sens profond du terme. Le voyage de Chihiro, sans être la synthèse de son cinéma (terme que l’on réservera au sublime Château Ambulant), n’en est pas moins le plus extraordinaire aboutissement.

THX 1138 de George Lucas (USA / 1971) avec Robert Duvall, Donald Pleasence, Maggie McOmie…
Avant les spectaculaires et inattendus Star Wars, George Lucas a procédé a une autre révolution artistique qui aurait toute les raisons de compter comme l’une des fondations du cinéma d’aujourd’hui et de demain. Au sens démesuré du spectacle et au contraire du plaisir absolu réservé au spectateur, Lucas lui préfère ici un film dur, peu accessible tout en étant renversant d’inventivité et de maîtrise technique. Le film se double d’un propos sur la déshumanisation que la légèreté de ton de Star Wars n’aura jamais. Etonnant de voir que cette sorte de ‘première version’ est la plus engagée et la plus ouvertement philosophique, alors que Lucas aurait pu y gagner ensuite en maturité. Mais THX 1138 semble esthétiquement et narrativement plus abouti que les pourtant mythiques Star Wars, tout en sophistiquant l’énergie de l’action et la maîtrise de la folie technique. Un sommet de la science-fiction qu’il faut absolument redécouvrir.