Esprit d’hiver, de Laura Kasischke

esprit_0Il est des situations (fictives, réelles) qui, dès le départ, dérangent et rendent mal à  l’aise, mais qui fascinent. Et donc qu’on adore approfondir et prolonger, quitte à  difficilement s’en remettre. Ces situations sont l’écrin idéal de Laura Kasischke qui construit une oeuvre littéraire forte et dérangeante, dont cet esprit d’hiver marque un aboutissement remarquable.

Esprit d’hiver démarre, comme tout roman dérangeant ceci dit, de la manière la plus banale. Holly se réveille trop tard un jour de Noël où elle a décidé de recevoir des connaissances. Sa fille adoptée il y a longtemps en Russie, Tatiana, lui reproche son retard pour, notamment, l’habituelle ouverture de cadeaux tôt le matin au pied du sapin. Légère dispute d’ouverture, le temps hivernal qui devient menaçant, les convives qui annulent un par un, et finalement, mère et fille se retrouvent seules, isolées, et dans un état d’énervement fébrile qui verra toutes les rancoeurs et tous les secrets éclater lors d’un final impressionnant.

Parler de cet ouvrage sans rien dévoiler devient du coup une gageure, alors on s’attardera plutôt sur l’écriture fine, ciselée, telle un couperet, de Kasischke qui sait mieux quiconque amener un suspense tenant à  peu de choses et l’irradier de folie, de dangerosité et de sourde angoisse. Elle construit précisément un huis-clos glacé, à  l’image du temps extérieur qui semble s’immiscer dans chaque coin de pièce de la maison, et dans chacune des deux personnalités qui s’affrontent, comme un match de boxe mère-fille qui finira sans victoire mais en chaos terrible.

Ce roman fort est devenu en quelque mois un des gagnants de la jungle de la rentrée littéraire, auréolé d’une critique unanime. Et avec raison : il vous plaque très vite au sol, vous étouffe tout le long pour vous relâcher au final, sonné et exsangue. Du grand art.

5

 

Jean-François Lahorgue

Esprit d’hiver, de Laura Kasischke
traduit (brillamment) de l’anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet
Editions Christian Bourgois
276 p. 20 €¬
Date de parution : septembre 2013