Dans la cour – Pierre Salvadori

afficheEn 2003, le réalisateur Pierre Salvadori avait déjà  mis en scène un dépressif avec le personnage de Louis dans Après vous, un film dont la tonalité générale était celle de la comédie, le genre de prédilection du cinéaste, si on excepte le noir Les Marchands de sable (2000). Pour son dixième long-métrage, il produit comme une synthèse des registres abordés jusqu’alors, en continuant cependant à  architecturer l’ensemble sur la figure du duo asymétrique. Duo qui fut par le passé trio (Cible émouvante) et qui peut être mixte ou non. Ici, c’est la version mixte qui est rétablie et, pour ce qui est de la disharmonie, la réunion de Catherine Deneuve et de Gustave Kervern ne pouvait mieux tomber. Une réunion qui s’opère donc dans une cour d’immeuble dont Antoine devient le gardien, embauché par Mathilde et son mari Serge pour le compte de la copropriété. Tandis que les premiers plans nous dépeignent un Antoine à  la ramasse, même plus capable de monter sur scène pour accompagner son groupe ni occuper durablement un job, les suivants, par contraste, dessinent Mathilde comme une retraitée active, pendue au téléphone et investie dans des associations humanitaires. Pourtant ils vont contre toute attente se reconnaitre comme deux paumés atteints du mal de vivre pour l’un – celui-là  même qu’avait si bien chanté Barbara – et d’une dépression en phase d’aggravation pour l’autre, de plus en plus effrayée par le monde extérieur et emprisonnée dans ses obsessions (la fissure horizontale qui se creuse dans son appartement servant de déclencheur).

Le démarrage du film est un peu fastidieux et la narration s’alourdit de personnages secondaires (un clandestin qui trouve refuge dans l’atelier de la cour, un receleur de vélos, un maniaque de l’ordre et des règlements) qui, s’ils impriment un ton de comédie, manquent cruellement d’intérêt. Ce que le spectateur attend et qui finit par arriver à  la moitié de Dans la cour, c’est la confrontation entre Antoine et Mathilde. Lorsqu’elle se concrétise, le film quitte le répertoire de la légèreté pour celui d’une authentique noirceur qui n’est cependant pas traitée avec apitoiement ni pathos. Pourtant, Pierre Salvadori parvient à  trouver le ton juste et délicat pour décrire cette dérive implacable et existentielle, qui isole et altère les aptitudes comportementales de relations sociales. S.’ils se comprennent et s’épaulent, si surtout Antoine exprime une attention honnête et désintéressée vis-à -vis de Mathilde, reste à  savoir si deux dépressifs ensemble se font du bien ou, au contraire, joignent leurs efforts mortifères dans l’accélération de leur chute.

Il faut dorénavant s’habituer à  ce que la reine Catherine se contrefiche de son image, qu’à  l’inverse elle prenne des risques face à  un comédien comme Gustave Kervern dont l’univers semble éloigné de celui de l’actrice-star. Pourtant cela fonctionne parce que le lien qui se tisse entre les deux n’est pas celui de la séduction, mais de la tendresse sincère et inexplicable. Elle irradie à  l’écran dans les gestes et les attentions qu’a l’ours Antoine, maladroit mais vrai gentil, pour la lionne effarouchée et déstabilisée. Le plus beau et émouvant du film est donc à  chercher dans les séquences resserrées entre Mathilde et Louis. Elles témoignent d’un regard intelligent et sensible sur une détresse qui colle à  la peau et pourrit la vie.

Patrick Braganti

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Dans la cour
Comédie dramatique de Pierre Salvadori
Sortie : 23 avril 2014
Durée : 01h37