[Monnot-mania] Neil Young – Harvest

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Quand tu regardes « Les Moissons Du Ciel » de Terrence Malick, tu t’dis : purée, les moissons, qu’c’est beau ! Tu voudrais presque attraper la maladie incurable du fermier joué par Sam Sheppard pour voir Abby, la belle journalière, te tomber dans les bras. Tu sais bien que Richard Gere, son mec, te la met dans les pattes parce que t’es malade, bientôt bon pour l’équarrisseur, que t’es super riche et qu’il veut rafler le pactole en la récupérant ensuite. Salaud va !

Mais c’est pas grave. Tu es dans un jeu de reflets et de faux-semblants. Tu sais, t’es pas dupe, tu le caches… tu prends, c’est tout. Tu saisis ta chance. Qu’est-ce que tu ferais pas pour les beaux yeux d’Abby !

Et pourquoi tout ça marche aussi bien? Parce que Malick est un champion toute catégorie de la caméra, capable de raconter une histoire rien qu’en filmant du blé qui danse à  cause du vent et d’antiques moissonneuses-batteuses soulevant des nuées opaques de poudre céréalière, comme ça, presque sans dialogue… en silence.

Le titre original du film, c’est « Days Of Heaven »…  journées paradisiaques ou quelque chose comme ça.

Purée, les moissons, qu’c’est beau !

Et puis il y a « Harvest » de Neil Young. Harvest = moisson en anglais. Les puristes te diront que c’est un album formaté grand public, mou du genou, mais n’en crois rien. Sont juste perturbés dans leur train-train et leurs petites habitudes « Harvest » c’est une merveille, une flèche cassée décochée en plein cœur. 1972 est un vrai chantier émotionnel pour le canadien dégingandé. Face, il devient père, pile, son pote alter ego Danny Whitten, gratteux du Crazy Horse lâche la rampe et s’enfonce dans la dure. À la fin de l’année, il est mort. Je ne te parle même pas de cette grande colonne vertébrale qui tombe en ruine, les guitares électriques deviennent trop lourdes, peut même plus jouer debout Neil. Assis comme un p’tit vieux à  même pas trente piges. Le disque est à  l’image de son esprit et de son corps, en hauts et en bas, acoustique, posé… orchestré aussi. À pleurer pour toutes ces raisons. Le talent et le travail ne sont pas les uniques vecteurs de cette alchimie parfaite. Ce serait trop simple. La vie joue un rôle.

Aux oubliettes engins bruyants, poussières, démangeaisons et nuages de piafs voraces !

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Purée, les moissons…

« Harvest » tu m’rends dingo tellement t’es beau. Depuis que j’ai vu ta pochette, je prends tout le temps mon reflet en photo sur des surfaces chromées et arrondies. Bouilloires, robinetteries… mais avec moi ça donne rien. J’arrive jamais à  reproduire l’effet bizarre et magique de ton cliché intérieur représentant la longue carcasse de Young réfléchie dans une poignée de porte cuivrée en forme de boule. Avec moi, ça donne rien… manque de mythe.

Y’a une différence entre se tirer le portrait et shooter son reflet distordu. C’est pas un truc narcissique, c’est plus un filtre, une protection. Tu ne te photographies pas directement alors t’es moins à  jouer un rôle, t’as moins peur de te faire démasquer. Au final, c’est toi qui surgit… flou, lointain, déformé, à  l’envers… mais toi… le vrai toi.

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« Harvest » c’est un peu ça pour Young si ça se trouve, faux-semblants, reflets… plus qu’une image directe. Un peu le fermier de Terrence Malick… Ça, les puristes peuvent pas le comprendre. Trop subtil. (Je l’ai déjà  dit je sais plus quand ni à  quel propos mais j’aime pas beaucoup les puristes. Surtout les refoulés, ceux qui s’ignorent. La vérité et les certitudes, c’est pour les cons. Je suis un fils du doute. Mais chuuuttt… )

Alors je sais bien que ce sont les Stray Gators, montés de toutes pièces pour l’occasion autour du génial Jack Nitzsche, qui jouent sur ce fichu disque aux côtés du Loner, et non le Crazy Horse, mais un jour, oui un jour, quand je serai un écrivain reconnu, que j’aurai plus à  pointer nulle part pour vivre tranquille… rêve garçon… quand je pourrai enfin être le type qu’il y a de l’autre côté du miroir, le vrai, pas celui qui joue un rôle parce que consciemment ou non il a peur d’être jugé… un jour donc, je fonderai un groupe de rock qui s’appellera »Cheval Fou.

I Love NY.

Purée, les moissons, qu’c’est beau ! Ça me rend introspectif.

Stéphane Monnot

« Harvest » est le 4ème album solo de Neil Young

sortie : 14 février 1972
Label Reprise Records

Post-scriptum : je te conseille vivement  » Une Autobiographie  » de Neil Young, parue en 2012 chez Robert Laffont. Sincère et pleine de belles photos. J’essaierai de t’en parler un de ces quatre. Je te conseille aussi  « Les Moissons Du Ciel » de Terrence Malick et tant qu’on y est  » Balade Au Paradis  » recueil de nouvelles de Sam Shepard, le fermier tubard tout en reflets et faux-semblants. Les trois vont bien ensemble.