Greys – If Anything

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T.’as envie de te faire bousculer, chahuter, agresser même, coller au mur, engueuler par ton ORL parce que tu as les oreilles qui saignent. J.’ai ce qu’il te faut »vas-y, écoute If Anything, premier album de ces jeunes gens de Toronto : Greys !

Normalement, si tu es punk-rocker ou grunge – different name same shit – et que tu te fends de ton opus fondateur et originel »en général »j’insiste sur le en général »le principe est le suivant : tu lâches la purée à  fond la caisse, tu donnes tout, si possible en quinze ou vingt morceaux et moins de trente minutes. Je te préviens »si c’est ça, en moins de dix secondes moi, je déclenche l’alarme incendie, qui, il faut le dire se fond de manière plutôt harmonieuse avec ton chaos sonore, et quitte la pièce en faisant des galipettes et en couinant comme un petit animal apeuré. Le crachouillis des sprinklers symbolisant la véhémence de ton éjaculation artistique !

J.’ai besoin de tendresse et de finesse »je suis un poète bordel ! Je ne voue pas de culte à  Saint Johnny Rotten, Toronto est pour moi le homeland du maître quasi-absolu de mon panthéon perso, Son Altesse Neil Young et depuis trente ans qu’on bouffe du Ramones et du Buzzcocks redigéré à  toutes les sauces »c’est bon hein !

Alors oui, Greys est à  ranger dans le tiroir susmentionné, oui, il est étonnant que le batteur (petit Dave Grohl Jr en puissance) n’ait pas encore fait de crise cardiaque mais non, ici violence et révolte ne sont pas des recours gratuits et systématiques, non, ces gars n’évoluent pas dans un son hermétique et sans horizon, non, ils n’ont pas acheté leurs instruments et appris à  en jouer sur le chemin du studio d’enregistrement.

Le premier titre  » Guy Picciotto  » plante le décor et résume assez bien, de ce que j’en ai compris, le modus operandi et l’intelligence des Greys : mur du son, hurlements en règle mais vraie précision dans l’agencement de cette apocalypse et surtout hommage à  Guy Picciotto, membre des givrés mais géniaux Fugazi – pionniers de l’implantation de neurones et autres synapses dans le gros son indé U.S. – , copain de jeu de Tom Verlaine , du regretté Vic Chesnutt et de Patty Smith. Greys ne se revendique pas de Off Spring et Greenday mais de Picciotto ( » Guy was my hero  » dans le texte), Greys aspire à  flirter avec le haut du panier »qu’il soit folk, pop ou hardcore »évidemment !

Mise en application avec le troisième morceau, Flip Yr Lid, et grosse descente dans les tours »attention point fort : l’exercice du  » mid-tempo  » ! Le gueux en converse, cheveux gras et chemise à  carreaux ou sweat universitaire à  capuche ne sait pas groover, jouer tranquillement devant ou derrière le temps, faire ronronner le moteur. Quand il s’y essaye, il cale »et repart, honteux, pied dedans. Greys maîtrise parfaitement ce rythme de croisière chaloupé, comme Fugazi bien sûr (dont le fantôme plane sur ces eleven songs ( ;)) mais aussi, et c’est ce qui m’a tout de suite fait accrocher, comme Chokebore, mes préférés dans la catégorie. If Anything, en plus de jouer avec facilité du braquet, développe également cette délicieuse petite touche dissonante qui faisait (et fait encore) la grâce de mes chouchous hawaiiens !

Parce qu’on parle ici de musique de gros bonhommes bien poilus (bien que jouée par des gringalets mignons probablement tout juste sortis de la fac), il est essentiel de dire que si tu aimes les Pixies (oh oui oh oui les Pixies !), Nirvana, les Beastie Boys et At The Drive-In (pour le petit grain éraillé et gouailleur) et tout plein d’autres choses qui bastonnent sévère, tu vas adorer If Anything de Greys !

Voici donc un groupe plein d’avenir dans le sens où dès ce premier opus tu les présumes déjà  engoncés dans leur cocon rock-dur. Tu entrevoies de dangereuses guitares et basses interpoliennes jaillir sur l’envoutant et magnifique  » Brain Dead  » et carrément des choeurs pop wapdoowapdoower (premier groupe : je wapdoowapdoowe, tu wapdoowapdoowes, etc ») sur Lull, dernier titre, pont symbolique vers une carrière ouverte et prometteuse.

Stéphane Monnot

Greys – If Anything
Carpark Records
Sortie : juin 2014