[monnot-mania] Il Faudrait Pour Grandir Oublier La Frontière – Sébastien Juillard

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D.’emblée, encore plus aujourd’hui – 15/01/2015 – tu es frappé par la beauté de ce titre. Cette frontière qui bien sûr n’est pas que physique, qui est historique, géopolitique, qui est religieuse, philosophique et bien évidemment fictive. Pas dans le sens où elle n’existe pas, dans le sens où elle est une fiction devenue réalité. Cette semaine je te parle d’Il Faudrait Pour Grandir Oublier La Frontière de Sébastien Juillard à  paraître en mars.

, Je te parle aussi de la construction d’une maison, : les éditions Scylla. Il y a des gens qui se laissent porter par l’air du temps, un peu comme des feuilles mortes, sans savoir où ils vont atterrir mais croisant les doigts pour que ce ne soit pas dans une merde noire. Il y en a d’autres, toujours des feuilles, beaucoup moins mortes pour le coup, carrément vivantes même, qui apprennent à  se jouer des bourrasques, à  les apprivoiser afin de déterminer une zone d’impact moins nauséabonde et pourquoi pas, soyons dingues, confortable. Alors oui, le vent est un animal sauvage capable d’engloutir le plus habile des dompteurs – demande à  Ulysse tiens, ! Puisque par, Scylla tu flirtes avec l’Odyssée, rappelle-lui l’outre des vents – mais dans la vie il faut prendre des risques les gars et si t.’essayes pas, et bah t.’y arrives pas, !

, Je trouve ça génial de t.’annoncer cette naissance d’autant plus que si tu le désires, tu peux t’y associer. Les éditions Scylla se lancent donc dans cette automne métaphorique avec plein d’enthousiasme et une intelligente formule participative (cf lien en fin de chronique).

, Les deux premiers ouvrages sont, :

– Roche-Nuée de Garry Kilworth : réédition du roman publié par Denoël dans la collection Présence du Futur en 1989.
Il Faudrait Pour Grandir Oublier La Frontière de Sébastien Juillard : novella inédite (premier titre de la collection 111 111).

Je te parle du second que j’ai eu la chance de lire en espérant vraiment te capter, te rallier à  la cause. Pas de fausse pudeur entre nous. Bien sûr, je n’ai aucune bille placée dans le projet, j’y adhère parce que l’idée même d’être un peu de cette aventure me plaît. La librairie Scylla (épaulée de sa jumelle Charybde – si je ne dis pas de bêtise) est déjà  à  l’origine des très belles éditions Dystopia Workshop. Là , elle avance seule mais tu peux y aller les yeux fermés.

Il Faudrait Pour Grandir Oublier La Frontière est une longue dérive qui te projette en pleine bande de Gaza, aux alentours de 2050. Tu t.’aperçois rapidement que la situation n’a pas beaucoup évolué. Tu suis les pas de quatre personnages principaux taillés au scalpel. La belle Lieutenant Keren Natanael, fille au propre comme au figuré de Tsahal toute en trouble et en finesse, Bassem, le fedayin djihadiste bloc de haine fissuré, Jawad, l’ingénieur endeuillé réincarnation bouleversante du Frankenstein de Shelley, et Marwan, le politicien modéré enfant du Peuple oeuvrant pour la paix. Je ne t.’en dis pas plus.

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, Tous naviguent à  vue dans un monde K-Dickien, Blade Runner pour les cinéphiles, Les Androîdes Rêvent-T-Ils De Moutons Electriques pour les littéraires, où, certes tu ne meures plus du cancer mais où tu continues à  te faire péter à  tout va, où des gamins et des innocents tombent toujours pour des enjeux oubliés et obsolètes. Elle parle de ça cette nouvelle. Elle parle aussi d’un autre type de responsabilités que celles, personnelles et identitaires, pointées du doigt habituellement : la responsabilité, un peu résignée ok et dans un sens déculpabilisante pour l’Homme devenu pantin, de l’Histoire dans sa globalité. Rien ne justifie la boucherie, d’où qu’elle vienne »attention »c’est dans le texte aussi bien sûr. Cette novella raconte enfin un monde où tu peux trafiquer les mémoires, programmer les hommes, sauvegarder l’âme des morts sur des serveurs et reconstruire leurs corps contre la volonté des dieux »monde de fumeries d’opium virtuel et de chimères numériques.

, Keren et ses compagnons d’infortunes arpentent une faille, étau complètement paradoxal de certitude piquée de doute, ou l’inverse, dans des proportions relatives et propres à  chacun. Tu les suis, les uns après les autres, ils se passent le flambeau de la trame du récit au fil de leurs rencontres dans ce grand labyrinthe que l’Histoire, encore elle, a dressé autour d’eux. Le procédé est impeccable.

, Habileté narrative donc, mais descriptive également car Sébastien Juillard te catapulte avec sa langue à  la fois classique, maîtrisée et inventive, non pas dans un futur irréel mais dans un Proche-Orient où tu as malheureusement tes repères puisque les images du brasier te hantent via le journal télé depuis des décennies, dans un Proche-Orient malgré tout magnifique au naturel, tout en couleurs lumineuses, odeurs de café, senteurs végétales, vieilles pierres et souks… là  où la poudre n’a pas encore semé la destruction et la mort. Il l’habille de quelques gadgets dronatiques mais pour l’essentiel la projection temporelle n’est pas perceptible. Le fait d’être trente ou quarante ans en aval est secondaire, anecdotique. Au final rien n’a changé et probablement ne changera.

, l’homme est par nature spirituel et belliqueux, c’est dans son A.D.N. Le programme sera plus long et complexe que prévu.

, Inaccessible aux fanatiques de tous horizons, aux politiques nombrilistes et intéressés, aux intoxiqués de la quenelle et du complot mais fascinant pour les autres »toi donc, ! Il Faudrait Pour Grandir Oublier La Frontière, est un texte lourd de sens et magnifique – je fais de la récupération positive t’as vu – alors fonce te le procurer, sous quelque forme que ce soit, ici : Éditions Scylla

Stéphane Monnot

Extrait, :

 » Nous sommes tous plus ou moins des fictions, Mr Rahmani. Hommes et nations. l’Histoire tout entière, peut-être. Une anthologie des meilleurs récits. Je crois qu’il n’y a pas un peuple qui ne soit un artifice bâti sur plus de mensonges que de vérités. Et vous et moi dans une certaine mesure, Bassem et son obsession du martyre. Même ceux qui écrivent ces fables et nous les racontent, politiciens, historiens, poètes… tous sont pris dans quelque chose qui les dépasse et les pousse. Où s’enfuit la vérité ?, «