Guy Birenbaum – Vous m’avez manqué, histoire d’une dépression française

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Guy Birenbaum a sorti il y a quelques jours un livre au sujet du web. Enfin c’est comme ça que le présentent les premiers twits de l’homme et de sa longue traîne, les premiers articles complaisants, et même les premiers « bashings ». Seulement voilà, s’agit-il réellement d’une étude sur nos comportements face à internet et aux réseaux sociaux ?

vous-m-avez-manque-guy-birenbaum-2Il y a des personnalités que j’aime bien en ce bas monde. Il y a des gens de ciné, de télé, de musique, de médias, de web, que j’aime bien, pour des raisons parfois loin d’être objectives. Et je m’en fous. Il suffit d’un truc qui m’accroche, parfois futile. Il y en a un paquet que j’admire sans raison vraiment justifiable.

Quelques-uns, aussi, dont j’apprécie – en plus – la forme ou le style, la capacité de synthèse bien sentie. Guy Birenbaum est de ceux-là. De sa vie d’avant le web, expat’ belge au pays de Molière, je ne sais pas grand-chose. Et en fait, je me rends compte que j’ai tout àfait le droit de m’en foutre. C’est des trucs de Parisiens ça, d’imaginer qu’un parcours ou des études prestigieuses augmentent la qualité d’un homme.

Tout ce qui compte pour moi, c’est cette écriture àla fois érudite et simple d’accès sur des sujets politiques et sociétaux publiés, àl’époque de ma découverte du bonhomme, sur Le Post du Monde, avant que ce dernier ne change àplusieurs reprises de crèmeries… n’ouvre son épicerie personnelle, et ne participe àune émission dédiée au web, chez Europe 1.

Guy Birenbaum, je l’aime bien parce que dans mon imaginaire belge retors, c’est le gars qui est arrivé àse positionner en sniper du net, comme d’autres il y a 20 ans étaient les snipers des émissions de télé. Le type qui est arrivé àla force du clavier àse faire un nom dans les médias, dans la blogosphère, auprès des gens. C’est en lisant Vous m’avez manqué, que je me suis rendu compte que la légende que je m’en suis fait n’est pas aussi iconique que mon esprit l’avait imaginée. Vous m’avez manqué contextualise un milieu, des connaissances, des déboires, une expérience de thèse, des douleurs d’édition malheureuses, qui l’ont mis sur cette voie royale de l’écriture et du numérique…

Voilà, avant même que de lire son premier récit, (est-ce vraiment un hasard, qu’il le publie dans la catégorie Témoignage, lui qui renacle aux étiquettes mediatiquement établies ?)j’ai un àpriori positif, je l’aime bien. Même si je le jalouse un peu, pour cette écriture, pour ses échanges avec ceux qui font l’actualité, mais aussi pour l’auditoire de son blog, pour son nombre de followers sur Twitter, pour l’art de l’écriture, pour l’avis sur tout avec cette connaissance du sujet, pour les invités prestigieux, les tribunes médiatiques, la capacité àencaisser des horaires de taré, pour la capacité àse distancier avec élégance des attaques que sa réussite et son patronyme ne manquent pas de lui apporter… Le tout en parlant/partant du web que j’arpente et utilise depuis sa naissance,- au web, pas celle de Guy-. Bref, je suis secrètement jaloux, un peu, de Guy: comme si le listing pléthorique que je viens de citer se voulait être un gage d’une quelconque réussite parisienne, d’un certain swag numérique mondain.

Marrant, il parle justement de tout ça dans le livre: de cette construction progressive d’un personnage carapace. Au « moi » sur-développé. Quelque part ça me rassure, je ne suis pas plus dingue qu’un autre dans cette course àl’égotrip que mon imaginaire provincial transforme parfois en l’apparence d’une réussite idéale.

Se perdre dans le web

Or donc, Guy Birenbaum a sorti il y a quelques jours un livre au sujet du web. Enfin c’est comme ça que le présentent les premiers twits de l’homme et de sa longue traîne, les premiers articles complaisants, et même les premiers bash de Vincent Glad autre star du twit. C’est dire.

Twitter
— guy birenbaum (@guybirenbaum) 20 Mars 2015

Ainsi donc Guy Birenbaum y explique comment l’addiction au web peut amener àla dépression. Etrange non ? Présenté comme ça on dirait une diatribe de Nadine Morano sur les dangers des nouvelles technologies et du port de la casquette en zone périurbaine. En fait le livre parle bien des dangers du web. Mais pas vraiment de ça. Intrigué j’ai demandé et reçu le bouquin vert fluo dont je salue en bon collectionneur une jolie maquette Les Arènes et une mise en page qui incite àla lecture. Si si. Pour moi ça compte. Il y a même des photos de famille où on satisfait son instinct Closer en se rendant compte que Guy Birenbaum est le portrait craché de son papa, arborant les sourcils de sa maman… Jusque làje ne te donne pas très envie de lire le bouquin hein ? Je te place le contexte c’est tout, parce qu’il me semble important pour la suite. En fait, ce n’est pas vraiment un livre sur une dépression àcause du web… non non, c’est un livre sur une dépression, où le web agit comme un vecteur de névrose, comme une sorte de révélateur chimique pour la photographie d’un homme qui, à50 ans passés, se rend compte qu’il n’a jamais pris le temps de vraiment se cartographier. Enfin je veux dire se photographier, pas poster un selfie poseur depuis une plage de Trouville, ville àlaquelle semble liés beaucoup de ses souvenirs de jeunesse.

Bain du matin… Une photo publiée par Guy Birenbaum (@guybirenbaum) le


Ca change tout : Vous m’avez manqué parle effectivement souvent de son rapport au web, rarement du web en lui même. Le net est ici un concentrateur et un condensateur. Il est l’expression matérielle de la dépression de l’homme. Il accélère le monde que l’auteur prétend pourtant analyser mieux que quiconque, il surdimensionne les problématiques futiles, il galvanise les prétentions, il amplifie et cautionne la haine des gens pour les people, pour les élites, pour le juifs, puisque oui Guy est bien rejeton d’une famille polonaise aux origines ashkénazes, établie àParis (ce qui d’ailleurs explique que sa maman a vécu cachée dans la crainte àParis pendant les années de guerre). Le web y est comme une loupe et un miroir déformant tout àla fois.

Vous m’avez manqué = Vous ne saviez pas qui je suis vraiment.

Un livre comme l’ anti-instantané d’un homme qui s’est donné sur le web, mais qu’on ne connait pas vraiment ; qui ne se connaissait pas vraiment non plus. Qui n’a jamais pris le temps d’interroger son essence, son histoire familiale. Le web comme une fuite en avant, comme une course àpied sans but autre que la course qui essouffle.

Et un livre comme une grande et une petite histoire parisienne, comme une biographie en trompe l’œil d’un homme qui ne voudrait pas qu’on publie sa biographie.

#Wind

Une photo publiée par Guy Birenbaum (@guybirenbaum) le

Plusieurs fois dans le livre, l’auteur, qui se sait doté d’une sacrée dose d’égo, mais le combat ( ca compte si on se repend non ?), imagine que son livre peut servir de guide àquelqu’un, comme le livre de Labro a été sa bouée jaune pendant sa perte de repères de quelques mois.

Birenbaum voit son témoignage comme un double outil. D’abord un outil pour montrer aux autres qu’on peut tomber sept fois se relever 8, comme disait Labro. Un témoignage. Oui on se sort de la dépression. Oui, a défaut de guérir tout àfait, on arrive às’en sortir. Oui on peut reprendre le métier qu’on aime pour peu qu’on change les règles du jeu / je.

Birenbaum se voit aussi un objet d’étude pour le sociologue qui prendrait le personnage Guy de 2014 comme un parfait exemple d’homo « urbano-connectatus ». Métaphore de la France érudite, il se voit bien, àce titre, àla fois symbole d’une nation qui se délite, symbole de valeurs qui se défont, significatif d’histoires qui s’oublient, de mots futiles et de maux profonds qui vont et viennent àla vitesse du buzz. Comme un exemple de cette perte de sens profond dans laquelle se trouverait la France en 2015. Birenbaum serait le creuset symbolique de la France en 2015 et sa névrose, comme l’image d’une société française qui se sent débordée. Lui qui en est un pur rejeton depuis sa sortie d’une fac prestigieuse dans les années 80. Ok c’est un peu présomptueux. Satané égo ;-)

Manquer ses objectifs mais devenir le miroir de son lecteur.

Je ne suis pas sûr qu’il atteigne aucun des deux objectifs.

Au premier postulat, j’ai envie de répondre que son livre est àce point personnel, tellement imbriqué àson histoire privée, qu’il m’est difficile de déterminer s’il peut servir de guide àun déprimant qui ne soit pas àla fois urbain, citadin, un brin rive gauche, beaucoup entortillé dans un habitus qui ne peut s’appliquer qu’àun petit nombre de gens. Sa victoire est-elle transposable si on ne travaille pas àla radio, si on ne transite pas entre Paris et le Calvados, si on a pas la forte présence d’une Géraldine àses côtés, si on a pas Laurent Guimier et David Abiker pour amis, si pour se rendre chez un psy il faut prendre RDV plusieurs mois àl’avance –boudiou de désertification des campagnes françaises? Je suis content de lire, pourtant, que lui, s’en est sorti. Je t’ai dit, je l’aime bien Guy.

Au second objectif, mon esprit cynique oppose un « oh mais il se la raconte pas un petit peu le père Birenbaum  » ? Et je referme Vous m’avez manqué en me disant, que si sa dépression n’est pas forcément celle de toute la France dont il aimerait être l’allégorie, en tous cas, je n’imaginais pas que la culture du buzz, du temps réel de l’actu puissent y être un jour nommés comme des facteurs de traumatismes. Et pourtant… Je ne voulais pas voir que la peur de « l’autre  » du juif, s’exprimaient dans l’héxagone, encore viscéralement en 2015 au point de contribuer àfaire trébucher un homme qui ne saurait être réduit àune confession religieuse. Et pourtant… En petites touches, très personnelle mais efficaces, il montre que si l’homme était préparé àse faire attaquer pour son ego ou ses écrits, il ne s’attendait pas àla forme de cette vindicte sans cervelle, par trop répandue. Il ne s’attendait pas àêtre atteint par ce que la France a produit de pire. Sur le net et ailleurs.

Si l’auteur me semble ne pas atteindre les deux quêtes littéraires qu’il martèle parfois trop dans le livre, Vous m’avez manqué reste plaisant àlire. Une sorte d’àpoil commercial comme dirait Arno. C’est l’histoire de Guy Birenbaum virtuel, qui raconte l’histoire de Guy Birenbaum réel. Si tu t’arrêtes àça, le livre ne vaut que si la vie du matinalier de France info t’intéresse.

Mais c’est aussi l’histoire d’un type qui se narre, et plus il se raconte, plus on se rend compte qu’on ne connaît que son jumeau numérique, nous autres cachés de l’autre côté de l’écran et des ondes. Plus on se rend compte qu’on se fait des idées àla con sur les gens qu’on suit sur le web, parce qu’on n’y découvre pas leur côté obscur, l’arrière boutique de leur petit étal placé judicieusement sur les internets.

Je vous demande de vous arrêter… Une photo publiée par Guy Birenbaum (@guybirenbaum) le

En cela le livre me touche. Il me touche aussi, parce qu’en bon hyperconnecté, il m’interroge sur mes habitudes: « ma réalité est dans le virtuel. Tandis que le réel, je ne le vis que virtuellement  » écrit-il comme un reflet de mes propres pratiques. Pourquoi ? A quoi bon ? Ah bon, je ne suis pas le seul à… ? Autant de suggestions qui, en miroir,ne peuvent peut-être pas sauver la France ou un candidat àla dépression, mais qui nous interrogent par le biais de l’écriture nerveuse de l’auteur sur nos propres pratiques du web, de la connexion. Et moi, pourquoi j’hyper existe sur le web au fond ? Qu’est-ce que ça cache ? Qu’est-ce que je planque ? Comment cela va-t-il finir ?

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Denis Verloes

Guy Birenbaum – Vous m’avez manqué, histoire d’une dépression française
Éditeur : Les Arènes
Collection : AR.AUTOBIOGRAPH
402 pages – 19,90€
Date de parution : 1er Avril 2015

Il y a cinq ans on demandait àGuy Birenbaum, quelle était sa playliste idéale