Festival de Cannes 2015 : Bilan

Trois souvenirs de ma jeunesse

Cette année encore, c’est du côté des sélections parallèles qu’il fallait aller chercher les pépites du Festival de Cannes. Bilan et revue d’un cru 2015 sans grande surprise mais avec tout de même quelques satisfactions.

De l’avis de bon nombre de festivaliers, Cannes 2015 ne restera pas comme un grand cru. N’ayant pas eu l’occasion de participer à toutes les éditions et n’ayant pas pu voir tous les films de la Compétition Officielle cette année, difficile pour moi d’avoir un avis tranché sur la question.

Néanmoins deux grosses tendances se dégagent à l’issue de cette 68ème édition.

La première tendance consistera à affirmer que peu de films dans les deux sélections officielles ont suscité un enthousiasme critique unanime. Que ce  soit en compétition ou dans la sélection Un Certain Regard, les avis ont été partagés tout au long de la quinzaine… Ce qui ne veut pas forcément dire évidemment que les films étaient mauvais, loin de là.
Si la critique a l’art, chaque année, de faire la pluie et le beau temps à Cannes, avec des réactions parfois outrancières, dans un sens ou dans l’autre (le palmomètre de Canal+ en est un des exemples les plus représentatifs), on constatera qu’hormis La Forêt des Songes, le film De Gus Van Sant injustement hué en projection de presse… certes, ce n’est pas un chef-d’œuvre mais c’est loin d’être le navet annoncé, aucun film n’a  fait le buzz cette année et n’a fait frémir twitter, autre baromètre incontournable pour connaître l’avis des festivaliers quelques minutes après la projection d’un film.
Malgré tout, il  restera de cette édition quelques très beaux films. De ceux que j’ai pu voir : le subtil et délicieux Carol de Todd Haynes, La Loi du Marché de Stéphane Brizé, logiquement récompensé par le prix du meilleur acteur pour Vincent Lindon, Le Fils de Saül avec sa noirceur et sa radicalité, l’émouvant et drôle Mia Madre de Nanni Moretti ou encore l’inégal mais formellement brillant The Lobster. Quelques films qui, à quelques exceptions près, ont plutôt enthousiasmé la Croisette comme on peut le voir sur le traditionnel tableau final des Etoiles de la critique publié par Le Film Français.

AN : Photo Kirin Kiki, Masatoshi Nagase

L’autre tendance notable c’est que depuis plusieurs années, les sélections parallèles (Un certain Regard, La Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique, et dans une moindre mesure l’ACID) connaissent un vrai regain d’intérêt de la part des festivaliers.
Plus accessibles, plus axées sur la nouveauté et la découverte, peut-être plus conviviales aussi, ces sélections laissent parfois même penser que les films présentés y sont de meilleure qualité qu’en sélection officielle. Sans aller jusque là, on peut tout de même affirmer que cette année encore le niveau y était très élevé avec, en tête d’affiche, quelques réalisateurs déjà passés par la case Compétition (Arnaud Desplechin) et même pour certains déjà récompensés d’une Palme d’or (Apichatpong Weerasethakul).

Si Un certain Regard (sorte de Ligue 2 de la Sélection officielle) a connu des années plus fastes, en revanche La Quinzaine des Réalisateurs et la Semaine de la Critique ont permis de mettre en avant des cinéastes nouveaux ou confirmés dont les films auraient sans doute mérité de figurer dans la Sélection Officielle. A commencer par Ni le ciel ni la Terre de Clément Cogitore. Un film qui met en scène une unité militaire Française engagée en Afghanistan et dont les hommes disparaissaient un à un sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Un film de guerre moderne et fantastique avec un Jérémie Renier, comme souvent, impeccable. Une réussite dont on reparlera sûrement au moment de sa sortie. Autre satisfaction, mais cette fois pour un réalisateur accompli, Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin montre l’auteur de Rois et reines plus apaisé que jamais avec un film écrit et interprété avec grâce et sans le côté intellectuel et torturé  qui plombe parfois ses films. Ici, se dégage une grande fluidité et un aspect romanesque jubilatoire qui en font l’un de sommets de ce Festival de Cannes version 2015.

Ni le ciel, ni la terre : Photo Jérémie Renier

On retiendra également le film simple et charmant de Philippe Garrel, L’Ombre des femmes, un marivaudage, une variation sur le couple en noir et blanc, plutôt minimaliste, porté par une Clotilde Courau éblouissante et touchante comme jamais. On a aimé aussi Les Anarchistes de Elie Wajeman, joli film assez sobre et bien interprété en forme de polar racontant une histoire d’amour au temps des anarchistes avec Tahar Rahim dans le rôle des Brigades du Tigres. Autre découverte, Paulina, de l’argentin Santiago Mitre évoque un cas de conscience autour d’une jeune enseignante des quartiers défavorisés victime d’un viol. Un film fort et intelligent et qui amène plein de questions. Dernier coup de cœur avec An de Naomi Kawase. Sans surprise mais avec brio, la réalisatrice japonaise signe une fable dans le Japon d’aujourd’hui. Films touchant, poétique et délicat qui fait la part belle aux petits détails de la vie et qui rappellera forcément les précieux mangas de Taniguchi.

L'Ombre des femmes : Photo Clotilde Courau, Stanislas Merhar

Hors compétition, signalons enfin le nouveau Woody Allen avec en tête de gondole le duo Joaquin Phoenix & Emma Stone dans un polar philosophique évidemment à la sauce Woody Allen. C‘est court, c’est plaisant, c’est efficace et plutôt bien écrit. On passe un bon moment, comme souvent chez Woody Allen… même si on aura complètement oublié ce film quand, dans quelques années, on passera en revue sa filmographie des années 2000.

Mais comme chaque année, malgré les déceptions, malgré les films qui n’ont pas tenu leurs promesses, malgré la fatigue, malgré la frustration de pas avoir pu tout voir, malgré le côté marathon et la furie ambiante, on gardera un très bon souvenir de cette quinzaine 2015 dont on appréciera, c’est sûr, plus finement la vraie valeur tout au long de la saison 2015-2016 quand les films sortiront en salle.

cannes 2015