Primavera Sound 2015 – jour 2 : de la fièvre, du gros son et encore des larmes (suite…)

Primavera

Suite et fin du report d’un des plus grands festivals européens de rock. Encore sous le soleil, mais avec deux journées largement plus emballantes que la veille en demi-teinte. Impressions.

Jour 2

On se réveille. Et ouf de soulagement, le vrombissement insupportable de Sunn O))) ne nous a pas cramé les tympans définitivement. On peut donc tranquillement prévoir une nouvelle soirée de bon son dans ce festival immense, dans tous les sens du terme. Et qui démarre d’ailleurs par une petite déception, les tickets d’entrée pour écouter José Gonzales dans un auditorium à l’entrée du site sont épuisés, mais rajouter 3€ au prix déjà bien chargé du pass, c’est un peu abusé, et énervant. Il paraît que c’était bien, tant pis. On file du coup, pour être au premier rang, au concert de Julian Casablancas, libéré de ses Strokes – qu’il retrouvera le lendemain – mais leader d’un groupe d’improbabilités scéniques : The Voidz.

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On est d’accord : ce groupe, on adore ou on déteste. Personnellement, j’aime beaucoup, mais les détracteurs restent nombreux. Mais accompagné d’amis fans hardcore, l’obligation de se retrouver au tout premier range se transforme vite en moment privilégié puisqu’on se retrouve à quelques petits mètres du possible plus grand chanteur de rock actuel. L’entrée de Julian effraie quand même un peu : l’ancien beau gosse des années 2000 est devenue un mix étrange entre Cindy Lauper qui aurait mal tourné, un roadie qui a oublié que le concert avait commencé, et un punk à chien sans chien qui aurait vu de la lumière scénique, accompagné d’un guitariste looké à la Luis Rego période « les Bronzés » déguisé en capitaine Haddock. Les tenues carnavalesques se font quand même vite oublier quand le son cradingue, rock et fiévreux du groupe démarre, et que la voix vocodée du chanteur s’embrase sur des gros riffs. C’est sale, c’est bon. Un peu tôt pour en profiter pleinement, un peu brouillon pour trouver ça impeccable, il n’empêche qu’avec quelques titres imparables comme Where no eagles fly ou le long et incroyable Human sadness, on tient là un set bien rock et tendu, les fans exultent, ça hurle et ça pleure, Casablancas s’en cogne, il chante, il hurle, il se fait plaisir.

Juste après, on se dirige en face et on tente de se placer au plus près de Patti Smith qui rejoue dans son intégralité son fameux Horses. Et là : moment de grâce inoubliable. A priori pas très jouasse à l’idée d’écouter un album rejoué dans son ordre – donc avec le tube Gloria en introduction pour un public non chauffé, c’est pourtant d’entrée l’adhésion totale côté coeur et côté public. Le son est parfait, la voix est belle et rageuse, le public scande le refrain. Et Patti Smith, visiblement heureuse d’être là, enchaîne son album d’anthologie avec joie, rébellion, et une immense générosité. A plusieurs reprises, elle se lance dans des diatribes fougueuses, et demande à nous tous d’exister, de survivre, d’aller à fond dans tout ce que l’on entreprend ou désire, avec une maestria et une émotion vraie, palpable, le public devient conquis, fébrile, et le set trop court vire à la cérémonie rock ultime, fiévreuse et mélancolique à la fois. Pour son dernier morceau, Elegy où la grande dame du rock annonçait des morts qui lui tenaient à coeur, elle modernise sa liste avec des nouveaux disparus chers à son coeur et qui l’empêchent de retenir ses larmes. En évoquant Lou Reed, elle pleure, et nous aussi. Des frissons sous le soleil, un moment fragile et intense où le silence règne et la tristesse éphémère prend le pas sur le reste. C’est très fort, c’est très beau. Puis Patti Smith recommence le final de Gloria, puis devient énervée, s’empare de sa guitare pour la première fois du concert, et un dernier rock’n’roll nigger rageur hystérise la foule qui hurle quand elle pète toutes ses cordes de guitare en lançant une ultime revendication : « soyez vous-même, vivez ». Grand grand moment, toutes générations confondues.

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Difficile, après ces larmes – encore, comme hier, décidément… – et ce vrai moment de rock, d’enchaîner. On a presque pas envie. Pause bière, bouffe, on navigue le long des nombreuses scènes où semblent se jouer des sets ridicules à côté de ce que l’on vient de vivre. Une brève écoute de Damien Rice (chiant, l’intime de sa discographie sied mal au lieu) et on bifurque vers Perfume Genius.

On est quand même vite charmé par les mélodies mélancoliques et ambigües du jeune homme à la voix prenante, avec des pop-songs très douces ou un peu barrées, qui montrent un talent certain, même si la prétention n’est pas bien loin… Un joli moment, qui permet de se remettre du concert grâce à un set prometteur et délicat.

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Promenade ensuite pour découvrir The Church, les anciennes gloires du rock à guitare dont le début du set reste maîtrisé et carré, même si ce n’est pas mon style de musique. On a loupé Belle and Sebastian et on revient se positionner pour Ariel Pink en écoutant les dernières minutes du rap énervé et énervant des Run The Jewels qui se contentent de gueuler dans le micro avec des basses beaucoup trop puissantes. Déception pour Ariel Pink, c’est complètement barré, les rythmes et morceaux changent toutes les deux minutes, impossible de danser, d’écouter tant l’ensemble chaotique et décousu énerve puissamment. On dégage rapidement – comme beaucoup d’ailleurs – pour essayer d’être bien placé au concert des Alt-J. On passe devant Ride, le son est nickel, petit plaisir rapide d’entendre un ou deux tubes shoegaze de ce groupe emblématique des 90’s – mais qui reste assez daté pour le coup.

Y’a foule pour les Alt-J que j’avais déjà vus sur une plus petite configuration voici deux ans, le groupe a pris du succès, du galon, et cela se ressent immédiatement : le son est dantesque, déflagration de basses qui empêchent une écoute optimale au début – et vite réparée. Tout le monde conquis reprend leurs hymnes en cœur, ils n’ont plus qu’à dérouler leurs titres magnifiques sur plus d’une heure de concert. Quelques morceaux pas aussi géniaux qu’on l’aurait espérer, mais le constat est radical : un très bon groupe, succès mérité, show impeccable avec batteur incroyable. Très bon moment.

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La fatigue aura enfin raison de nous et de Ratatat qu’on aura plus la force d’écouter… Déjà 3 heures du matin, et près de dix heures de moments intenses, de danse, de cris, de larmes et de bon (gros) son qui dégouline des oreilles, des yeux et du coeur. Dernière bière, attente taxi, retour appartement. Demain nous appartient déjà.

Jean-François Lahorgue