Ministère de la culture et « industries culturelles » – le diable est toujours dans les détails

Assemblée Nationale France

En marge d’un articulet  publié ces jours-ci au journal officiel, suite à une question au gouvernement en provenance d’un député à l’Assemblée Nationale; je crains de lire ce que sera la politique culturelle du gouvernement français en matière de fonctionnement et d’accès aux industries culturelles. Ce que je pressens de l’avenir, me fait peur pour ceux qui viendront après nous.

Hier, je lisais un article dans le domaine du jeu vidéo. Oui je sais j’ai gardé une âme d’enfant et je ne dédaigne pas un petit « défouraillage » de soldats de factions hostiles dans Call of Duty Black Ops. Or donc hier je lisais un article signalant que le ministère de la culture venait de donner son retour formel à une question posée au gouvernement en 2012 par un député encarté dans une faction host… ah non tiens aux couleurs de l’équipe rouge: M. Alain Rodet (Socialiste, républicain et citoyen – Haute-Vienne ).

Ledit député équipé en arme principale de son talent d’orateur et en arme secondaire d’un raygun à fragmentation, interrogeait notre ministre sur la pratique, maintes fois décriée par les joueurs les plus jeunes et souvent aussi les plus désargentés, de la dématérialisation complète des « cartouches de jeu » (pardon pour le terme mais je suis né au 20e siècle), ou de l’association de cette « cartouche » à un code joueur unique , seul moyen de parvenir à se connecter à la plate-forme de jeu multijoueurs et de mise à jour du logiciel. Une pratique qui selon le député tend à mathématiquement faire disparaître le marché du jeu d’occasion à la seconde main inutilisable mais aussi à pousser les gamins … Les joueurs, vers des cracks illégaux. Une théorie pas complètement inepte à mon humble avis de sergent sur PS3 abonné aux bacs à soldes de Micromania.

M. Alain Rodet attire l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les difficultés occasionnées par la généralisation, dans le secteur vidéoludique, de la mise en place de droits de gestion numérique extrêmement contraignants. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle en France et dans le monde, avec un chiffre d’affaires de près de 60 milliards d’euros en 2012. Il constitue ainsi un secteur commercial extrêmement dynamique. Or de façon progressive, les principaux éditeurs de jeu vidéo ont mis en place un système d’activation en ligne de leurs logiciels, qui nécessite de l’acheteur la création d’un compte sur internet, via une plate-forme spécialisée. À l’issue de cet enregistrement, le logiciel est lié de façon irrévocable au compte de l’utilisateur ce qui interdit en pratique – mais sans que cela ne soit clairement explicité – sa cession ultérieure. À titre de comparaison, si une telle règle était appliquée au secteur automobile, il serait désormais impossible au propriétaire d’un véhicule d’en modifier le certificat d’immatriculation en vue de sa revente. L’opacité entretenue sur ces pratiques a conduit de très nombreux acheteurs à faire l’acquisition de jeux inutilisables, alors même que le vendeur était de bonne foi. Par ailleurs, ce procédé de licence activable a quasiment fait disparaître le marché du jeu d’occasion. Les joueurs sont ainsi contraints d’acheter des produits neufs qui coûtent souvent plus de 50 euros, ou paradoxalement, à se tourner vers le téléchargement illégal. En conséquence, il lui demande si le Gouvernement entend inciter les acteurs de ce secteur d’activité à plus de transparence et à un plus grand respect des droits des consommateurs. (site)

Cette pratique à été mise en lumière par les gamers à l’occasion des rumeurs qui ont précédé la sortie de la PS4, pour laquelle on disait Sony prêt à mettre fin aux jeux physiques à acheter en rayonnage. Devant le tollé des joueurs (et sans doute aussi des chaînes de distribution spécialisées dans la vente physique de jeux vidéo) le constructeur avait démenti cette « rumeur » et le collectionneur ou le gamin peut encore aujourd’hui déchirer compulsivement le blister qui entoure le DVD-ROM du jeu acheté 70 boules. Oui mais, il est souvent effectivement contraint à entrer un code d’activation pour jouer.

Or donc notre ministre  de la culture annonce dans sa réponse estivale (presque deux ans plus tard) que pour soutenir la « filière » (j’ai toujours aimé ce mot qui fait une peu Gene Hackman dans French Connection et Steve Buscemi dans Boardwalk Empire), elle compte abonder… dans le sens des éditeurs en faveur de l’unicité du jeu acheté et de sa version téléchargeable.

Le développement considérable du marché de l’occasion et du téléchargement illégal dans le secteur du jeu vidéo a conduit l’industrie à prendre des mesures garantissant une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle. Dans le cadre de la lutte contre le piratage, et considérant que l’activité de revente de jeux physiques et du pluri-téléchargement des jeux en ligne est préjudiciable au développement de l’industrie et contrevient aux droits des éditeurs, les pouvoirs publics soutiennent ces initiatives. Ainsi, un jeu physique acheté dans le commerce doit être enregistré sur une plate-forme éditeur pour éviter qu’il ne soit revendu. De même, un jeu en ligne disponible sur une plate-forme de distribution est lié au compte de l’utilisateur afin que ce même jeu ne puisse pas être téléchargé plusieurs fois après une première acquisition. Après plusieurs années de mise en oeuvre, force est de constater que ces mesures ont effectivement permis de changer les habitudes des consommateurs et de faire baisser considérablement le niveau de piratage des jeux vidéo. L’ensemble du secteur du jeu vidéo, et en particulier la création française vidéo-ludique, trouve là une protection indispensable, a fortiori dans le contexte actuel de développement du marché du jeu dématérialisé qui, bien que propice à une plus grande diversité créative, est confronté à une économie plus fragile.

Passons le fait que je me rend compte que nos élites n’ont sans doute jamais du patienter vaillamment d’étrennes en étrennes pour se payer une nouvelle console, ou lister à coeur fendu le nombre de jeux sur lesquels on a passé des nuits entières qu’il faudra revendre pour s’acheter le nouvel épisode de Skyrim ou Star Wars battlefront.

Passons aussi la méconnaissance du plaisir simple de collectionneur de retrouver dans un vide grenier de campagne la Sega mega drive de nos premières amours vidéoludiques de jeunesse  avec son pistolet à dégommer les canards virtuels, pour un prix modique à faire briller une goutte d’eau salée à l’oeil du gamer, négligeons les chaudes larmes de joies en constatant que cet achat est encore parfaitement fonctionnel presque 25 ans après sur la télé du salon. Soit autant de plaisirs simples et bon enfant (enfin ceux que le jeu vidéo ne rend pas délinquants comme chacun sait) de gens normaux, parfois sans dents, dans tous les coins de la France normale qui vote. Un plaisir de revente et de collection gentillette qui entretient à coup de système D sympathique l’économie de l’attrait pour la nouveauté. Un monde où on revend en fait pour satisfaire son envie d’acheter neuf. Un monde où le joueur désargenté peut faire tourner l’industrie du neuf sans passer par la case Sofinco et, ce faisant, alimenter un réseau de seconde main souvent seul biais de découverte de ces plaisirs ludiques numériques pour une large frange de notre société moderne qui n’a ni 450€ pour une console ni 70€ pour le jeu neuf. Mais le ministère entend les industries, crédo de ce mandat.

Mais ici soutenir l’industrie c’est aussi le faire au détriment de la liberté de revendre un bien qu’on a acquis légalement: et ce faisant nourrissant une nouvelle économie de la récupération de ces produits de consommation dans une seconde vie pour de plus démunis que soi…  Autant de valeurs qui me semblaient traduire une vision diablement sociale voire socialiste du monde. Or je constate que la mesure va pile dans le sens inverse, et plutôt dans celui de la mise sous pression du portefeuille des consommateurs attirés par les lumières bleues du marketing des studios à la manœuvre. On s’achemine donc en France vers un durcissement du DRM et des règles d’usage du jeu vidéo uniquement dématérialisé. On achète pour soi, certes on ne pirate pas, mais on ne peut plus disposer comme on l’entend, de ce qu’on possède.

On peut se douter que l’industrie du disque et de la production musicale va emboîter le pas des confrères du jeu vidéo. Puis les copains de l’édition littéraire. Et on sortira vers un monde où en prétendant lutter contre  le piratage – qui sera toujours présent mais aux mains de hackers russes plus malins que les gamins en cours de récré-,  les acheteurs ne pourront plus disposer que de l’usufruit de leur « produit culturel » pendant le temps et la bonne volonté qu’aura mise l’éditeur à le garder fonctionnel. Le tout sans sans aucune compensation financière comme une baisse significative du prix de vente raboté de ce droit à en disposer à sa guise.

On continuera de payer très chers des livres, des disques et  des jeux qu’on ne pourra plus revendre ou prêter à son neveu, à l’élue de son coeur ou à une nouvelle génération d’amateurs. Ou alors uniquement dans un magasin labellisé Sony ou Amazon qui auront droit de vie ou de mort sur notre achat et notre droit à en disposer. Adieu collectionneurs du dimanche, adieu émulation culturelle, par le bac à soldes ou le vide grenier.

Ce que tu possèdes ce ne sera que du temps individualiste de cerveau disponible passé avec un produit culturel que tu ne pourras plus diffuser ou utiliser pour en acheter un nouveau qui nourrisse ta satiété culturelle. Bizarre conception militante du chacun pour soi et achète qui peut.

Imaginons dans 20 ans la tête de nos médiathèques populaires des villes et des campagnes. On pourra y consulter tout ce qui a été écrit, composé, filmé jusqu’aux environs de 2015 ou 2020. Pour la culture contemporaine, il faudra s’en remettre au bon vouloir des tarifs et coûts de maintenance des éditeurs, en espérant qu’aucun d’eux ne filtre ce patrimoine immatériel, n’y trie ce qu’il désire que soit transmis aux générations futures au gré de listes d’oeuvres validées par la censure morale d’un distributeur numérique  (tu te rappelles de l’origine du monde de Courbet sur Facebook? Ben pareil) ou de préoccupations uniquement comptables. Des éditeurs garants de l’accès à un back catalogue coûteux en maintenance, et/ou chargés d’en garantir l’accès mais à un tarif largement rédhibitoire pour de nombreux amateurs de culture, avides de nouvelles expériences culturelles mais pas forcément armées pour les financer. Imaginons aussi la tête des vide greniers du dimanche  sans livre, sans musique, sans jeux vidéo, sans console à réanimer pour lutter contre l’obsolescence.

C’est vers ce monde là que je crains que nous entraînent nos élites, indice relevé au gré d’une petite phrase glissée dans une réponse tardive à un de nos députés.

Et de craindre que demain nous soyons dépossédé de notre droit à disposer de nos achats, de notre envie de nous cultiver même sans le portefeuille de nouveau riche, franchement ça fait aussi mal qu’un respawn en plein milieu d’une attaque par un drone de soutien dans une map de Black Ops.

Allez @+