Youth Lagoon – Savage Hills Ballroom

Youth Lagoon photo 2015

Troisième album du lutin Youth Lagoon, Savage Hills Ballroom affiche l’étonnante sérénité pop dont est capable la musique de Trevor Powers. Disque bicéphale, léger autant que grave, qui confirme surtout le sacré talent mélodique de cet excentrique indispensable. Notre ami, quoi.

Youth Lagoon 2015C’est un petit air emprunté au grand Jacques qu’on pourrait fredonner, du genre : « Bougnat, apporte-nous du vin, celui des noces et des festins, Trevor est revenu« . Oui, réjouissons-nous, en ce début d’automne tristoune, notre lointain ami venu de Boise, Idaho, est réapparu avec sa voix fêlée et ses chansons issus du même tonneau (fêlé) : Youth Lagoon is back, friends.

Malgré ses airs d’inadapté asocial, le gars Trevor Powers met pourtant au monde, avec une discrète régularité de métronome, un disque tous les deux ans, entraînant sans réserve l’auditeur dans son monde unique de maverick rêveur, mélancolique et lunatique.
Alors, après le refuge dream pop de son inaugural The Year Of Hibernation ou le grand bain psyché-barré expérimental de Wondrous Bughouse, tout en affichant un surprenant look glam de Pee-Wee androgyne, de quelle humeur est aujourd’hui notre lutin préféré au touchant timbre de canard ?
Chagrine, en fait. Comme toujours, oserait-on ajouter. Et les sombres circonstances qui président à la naissance de Savage Hills Ballroom – la mort accidentelle d’un de ses amis d’enfance – ont de quoi renforcer cette assertion. Mais même marqué par l’absence, l’abandon ou le manque, comme souvent avec ce drôle d’oiseau, le tableau s’avère plus compliqué.
Si le troisième chapitre de son parcours affiche d’évidentes traces de deuil et vague à l’âme (l’annonce de la disparition dans Officer Telephone, le beau clip d’Highway Patrol Stun Gun, élégie nostalgique à l’ami envolé) Youth Lagoon n’avait encore jamais abordé son art de façon si frontale, et bipolaire aussi.
Plus direct et plus basé sur le développement mélodique de sa musique, sur l’énergie sans fard, épaulé du producteur Ali Chant croisé chez Perfume Genius, notre farfadet préféré livre son recueil le plus abordable (le plus pop), collection de comptines à la Daniel Johnston où l’intimisme n’exclue paradoxalement pas la légèreté et l’envie de jouer.
Ainsi The Knower et son groove soul ludique qui ne déparerait pas le répertoire de Beck, les accents néo-synth pop genre MGMT ou Twin Shadow de No One Can Tell, l’introspection d’Officer Telephone qui finit en bref barouf sonore façon Deerhunter, le refrain à la Tori Amos sur Free Me : on jurerait que notre décidément insaisissable Youth Lagoon s’amuse à enfiler les diverses panoplies de l’indie rocker moderne. Ou bien alors, par dignité et pudeur, s’efforce-t-il de s’étourdir et masquer ainsi ses éternelles mélancolie et inquiétude foncières, pourtant à l’œuvre in fine comme le prouvent les deux instrumentaux épurés Doll’s Estate ou X-Ray ?
En résulte donc un album moins sombre qu’attendu, tracé d’une ligne claire et schizophrène à la fois. Un disque aux deux visages, intimiste ET léger, pop ET secrètement triste, serein ET chiffonné. Et qui n’aura qu’un défaut, celui de présenter pour l’auditeur distrait peu habitué à l’artiste un versant presque trop propre et bien rangé du gars Trevor.
Mais qui confirme de façon incontestable le – très – grand art de compositeur et mélodiste dont a toujours fait preuve l’énergumène Powers : les irrésistibles et très personnels Highway Patrol Stun Gun ou Rotten Human rejoignent déjà ainsi les fameux July, Montana, Dropla ou Mute dans le panthéon des perles « YouthLagooniennes ».
Rassurés par un talent pas encore prêt à se dissoudre dans le grand bain mainstream, on ne sait quel visage affichera à sa prochaine escale cet excentrique cabossé mais, bardé d’un tel don musical et d’une telle force d’attachement, on s’avoue prêt à le suivre encore longtemps.
Youth Lagoon en moderne joueur de flûte de Hamelin ? Finalement, ça lui va bien. Ça nous va bien.

Franck ROUSSELOT 

Youth Lagoon. Savage Hills Ballroom
Label : Fat Possum Records / PIAS
Sorti le : 25 septembre 2015