Interview avec Arman Méliès

Rencontre avec un homme à la fois charmant, un peu timide mais très chaleureux, à l’image de sa musique, pour évoquer son dernier album, mais aussi sa discographie, ses influences et bien sûr Dominique A pour qui il ouvrait ce soir-là à Brest.

arman melies photo Greg Bod - Brest 2016

On ne dira jamais assez tout le bien que l’on pense de la musique d’Arman Méliès. Des territoires en trompe l’œil, comme faussement en rupture quand la continuité est la ligne directrice. Du minimalisme épique des débuts à la foisonnance Pop de Casino ou la froideur clinique et désincarnée de IV, Arman Méliès n’en finit pas de dessiner les contours d’une musique faite de contrastes et de nuances. Avec Vertigone, son nouvel album, il parvient à un disque de synthèse qui résume toutes ses attirances.
Nous l’avons rencontré peu de temps avant ses balances à La Carène à Brest, le 8 avril dernier, alors qu’il devait ouvrir en première partie de Dominique A pour la dernière date de la tournée du A majuscule.

Benzine : Si nous commencions par des présentations. On ne choisit pas au hasard un pseudonyme. Pourquoi Arman Méliès ?
Arman Méliès :
Pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, en fait, c’était avant tout pour avancer masqué, il y avait sans doute quelque chose un peu de l’ordre de la pudeur. Je trouvais que le fait de s’inventer un peu un personnage permettait de créer un univers plus facilement qui était lié non seulement à la musique mais aussi à tout l’univers graphique qui  pouvait tourner autour du projet. Cela me permettait aussi de plus me dévoiler sans trop en dire et aussi de faire des chansons relativement intimistes tout en conservant une part de mystère ou en tout cas de recul, de distance.

En 2002, vous avez sorti un premier album, Figurines, avec un groupe qui s’appelle Enola. Dans ce projet, il y avait déjà deux personnes avec qui vous travaillez encore aujourd’hui, le batteur Loïc Maurin et Antoine Gaillet qui est d’ailleurs à la production de Vertigone comme de vos autres albums. La notion de fidélité, c’est quelque chose d’important pour vous musicalement parlant ?
Bien sûr, c’est quelque chose de très important (sourires). Je considère que quand on a trouvé les bons partenaires, cela ne sert à rien d’aller voir ailleurs pour aller voir ailleurs. Bien sûr, c’est toujours enrichissant de travailler avec de nouvelles personnes et c’est notamment ce que je fais dans une autre dimension de mes activités, en travaillant avec et pour d’autres artistes, je pense à Hubert-Félix Thiéfaine ou Julien Doré. Pour autant, il y a parfois dans le milieu de la musique comme dans d’autres médias artistiques une espèce de snobisme à toujours chercher le nom « qui va faire bien » sur la pochette, sur la biographie. Il y a aussi cette tentation d’aller voir à l’étranger car on a toujours l’impression que les anglais ou les américains vont forcément faire les choses beaucoup mieux que nous. Avec ces personnes que vous citez, on a progressé ensemble. Ce sont des partenaires privilégiés car ce sont juste des gens qui sont excellents dans leur domaine. Ce sont aussi des proches, mes amis aujourd’hui. Ils sont par ailleurs demandés sur pleins d’autres projets totalement différents du mien.. .ce n’est pas un hasard car ils sont vraiment doués et ce serait pour ma part totalement stupide de ne plus travailler avec ces gens là.

« La musique d’aujourd’hui c’est plus Son Lux ou Jay Z que Georges Brassens. Je me sens plus proche de Kanye West que de Léo Ferré. »

Arman Melies - Brest - Greg Bod

Il y a cette phrase que j’ai lu de vous pour préparer cet entretien que je trouve très paradoxale « Au final, je ressens très peu d’influences liées à l’univers de la chanson française ». C’est paradoxal  car vous écrivez en français, votre langue musicale est le français. Pourrait-on dire que vous entretenez des rapports conflictuels avec la chanson française  et indirectement avec la nouvelle scène française ?
Pas tant avec la nouvelle scène française car pour le coup je la trouve assez émancipée de la tradition de la chanson française, on va dire, classique qui, elle, ne me séduit pas beaucoup. Ce n’est pas une revendication, ce n’est qu’une histoire d’affinités. J’allais dire liée à mon éducation mais ce n’est pas tout à fait vrai car mes parents écoutaient très peu de musique donc il n’y a pas eu vraiment d’influence. C’est une scène qui ne me parle pas beaucoup. Les grands auteurs, Brel, Ferré, Barbara, Aznavour, Nougaro… Ce sont des gens que j’estime, le problème n’est pas là. C’est une musique qui ne me touche pas. Il y a quelques chansons de Ferré qui me bouleversent, d’autres choses après qui peuvent me séduire mais dans l’ensemble, quelqu’un comme Brassens par exemple, j’ai l’impression que c’est la musique de mon grand-père. J’ai l’impression qu’on est passé à autre chose aujourd’hui. Cela ne signifie pas forcément que l’on va vers du mieux mais moi j’ai envie de faire de la Musique qui corresponde à mon époque et au monde dans lequel je vis. La musique d’aujourd’hui c’est plus Son Lux ou Jay Z que Georges Brassens. Je me sens plus proche de Kanye West  que de Léo Ferré. Mais ceci dit, c’est vrai que je fais plutôt, entre autre sur ce disque, Vertigone, des chansons rock que je chante en Français. Forcément, on va plutôt me mettre dans le bac « Chanson française ».
Concernant la « nouvelle scène » ou la « nouvelle chanson française », dans la mesure où l’on me parle de Dominique A avec qui je partage l’affiche ce soir ou que l’on me parle de Bertrand Belin ou d’Albin De La Simone, évidemment, là, je me sens beaucoup plus proche de tout ce monde-là. Ce sont justement des artistes qui sont émancipés de toutes ces influences, qui se nourrissent d’une multitude d’autres courants musicaux et ce n’est plus uniquement de la chanson française pour moi. Ils s’éloignent de quelque chose qui est de l’ordre du patrimoine pour créer quelque chose d’autre, du moins tenter.

arman melies

« J’ai l’impression de toujours faire un peu les mêmes chansons tout en me renouvelant dans la forme… »

Votre chant a beaucoup évolué, notamment sur ce dernier album, Vertigone, où l’on sent un véritable lâcher-prise. Est-ce qu’aujourd’hui, vous vous considérez comme un chanteur car en interview, vous disiez souvent  avoir cette quête de légitimité ?
Oui, effectivement, il y avait un petit complexe qui était dû au fait que je sois d’abord guitariste et que j’étais venu au chant un peu par défaut. Je n’avais aucun bagage technique vocalement parlant. Il y avait aussi peut-être un complexe qui était né dans un premier temps du fait que je n’étais pas à ma place, j’avais l’impression que pour se considérer comme un chanteur, un grand et vrai chanteur, il fallait chanter comme Aretha Franklin ou Jeff Buckley, bref quelqu’un avec de grandes capacités vocales. J’avais pris le parti inverse, d’être plutôt en position de recul par rapport à ma situation de chanteur, même dans les mixes. Dans mes albums, la voix était souvent considérée et produite comme un instrument parmi d’autres et puis petit à petit, en fait, la confiance est venue, une certaine aisance est apparue et puis surtout le plaisir est venu, notamment sur ce disque, en l’écrivant, en enregistrant les maquettes, j’ai senti qu’il y avait comme une sorte de déclic et effectivement aujourd’hui je me considère tout aussi bien chanteur que guitariste ou compositeur. Après, je ne pense pas être un grand chanteur. Par exemple, je travaille beaucoup avec Julien Doré. Il a une voix vraiment incroyable, c’est quelqu’un qui  a un don, il est capable de chanter tout et n’importe quoi. Ce sera pleinement juste, plein d’intentions, bouleversant. Je ne fais pas partie de cette catégorie mais pour autant cela ne me gène pas du tout. Cela n’empêche pas  de véhiculer par la voix des émotions fortes et d’y prendre du plaisir.

Revenons sur l’album Vertigone, tout d’abord une question relativement évidente. Pourquoi ce titre ?
C’était le mélange entre deux mots : Vertigo, qui était l’idée première pour baptiser le disque, et puis de la pièce de théâtre Antigone que j’ai vu  justement au moment où tout cela était en macération. Du coup, de la rencontre de ces deux  idées, est née Vertigone qui pour moi  était un néologisme  qui résumait pas mal le disque. Après coup, je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout un néologisme et que cela avait déjà été utilisé par le groupe belge Venus. C’est un hasard de circonstances et puis j’étais déjà tellement attaché  au titre que cela n’avait plus beaucoup d’importance pour moi.

Ce qui est assez frappant à l’écoute de vos albums, c’est qu’ils sont souvent en réaction les uns par rapport aux autres. De prime abord, on ressent la même chose à l’écoute de Vertigone mais l’écoute d’un album, cela se macère, cela évolue. On se rend compte que finalement ce qui change beaucoup c’est d’abord l’aspect plus incarné face au côté clinique d’AM IV. Plus que de la rupture, j’ai l’impression qu’il y a de la continuité…
(Sourires et long silence)… Oui, bien sur, je suis convaincu qu’il y a une continuité, que tous mes disques sont liés, et que dans l’écriture, dans les thèmes abordés, il y a vraiment quelque chose de cohérent qui se tient. Après, l’esthétique, d’un disque à l’autre, diffère, mais pour moi ce n’est qu’une partie. C’est travailler sur la forme comme un plasticien. Je vais faire une comparaison bien prétentieuse et un peu à côté de la plaque mais c’est un peu comme les périodes de Picasso. Il a ses périodes bleues, roses, cubistes ou je ne sais quoi encore… mais au final cela reste du Picasso. J’ai l’impression de toujours faire un peu les mêmes chansons tout en me renouvelant mais c’est juste que dans la forme, j’essaie à chaque fois d’apporter quelque chose d’un peu différent, parfois un peu en réaction au disque précédent parce que quand on a exploré un terrain comme la musique synthétique comme sur IV, du coup, j’ai envie de revenir à quelque chose de plus organique, de plus direct mais ce n’est pas une direction qui  va annoncer dix disques. J’espère que le prochain, je vais à nouveau me renouveler, à nouveau explorer des horizons inédits, de nouvelles couleurs tout en restant moi-même.

« Avec Vertigone, l’idée était de faire un disque qui allait pouvoir se retranscrire assez facilement sur scène, d’essayer d’écrire des titres classiques… »

Vous savez que nous chroniqueurs musicaux, on aime bien les étiquettes. Cela nous rassure sans doute. La première qui m’est venue à l’écoute de Vertigone c’est The War On Drugs et leur album Lost In The Dream.
(Sourire) C’est fort possible car c’est un album que j’ai énormément écouté. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas écouté un album de Pop Folk. J’étais beaucoup plus attiré par la musique instrumentale, l’électronique, le Hip Hop, le Post-Rock, enfin, plein de choses et c’est vrai que cela faisait un petit bout de temps qu’un disque de Pop assez classique ne m’avait séduit à ce point-là C’est vrai que c’est un disque que j’ai beaucoup écouté… Après, est-ce qu’il m’a influencé ? Je ne sais pas trop.
Ce qui est assez étrange, c’est que ce disque me séduisait parce que j’y retrouvais d’autres choses que j’aimais bien comme Arcade Fire, comme Springsteen, comme Neil Young. C’était pour moi une sorte de mélange de tout ce que j’aime dans la musique Pop. Et puis simultanément, je me dirigeais aussi dans cette direction, c’était un peu aussi mon idée de départ, d’écrire des chansons relativement simples, concises, avec une orchestration assez directe. L’idée c’était de faire un disque qui allait pouvoir se retranscrire assez facilement sur scène, d’essayer d’écrire des titres classiques que l’on puisse interpréter à 4 ou 5. Je m’étais fixé cette contrainte pour que ce groupe puisse les interpréter ainsi sur scène.

Vous ouvrez ce soir (Le 08 avril 2016) à La Carène à Brest pour la dernière date de la tournée de Dominique A. comme une boucle terminant là où il a commencé. On connaît l’attachement que vous avez pour la musique de Dominique A, vous avez repris Le Commerce de l’eau sur Les Tortures Volontaires. Cela évoque quoi pour vous de clore avec lui cette tournée ?
C’est un peu un honneur en fait de partager l’affiche avec lui sur une date comme celle-là, importante. C’est toujours des moments importants. Ce n’est pas juste la dernière date d’une série. C’est une aventure artistique et humaine d’un an, un an et demi à chaque fois. Pour les gens qui jouent, c’est quelque chose de très très fort. Le fait d’être invité sur cette date, c’est un honneur  et puis c’est beaucoup de plaisir car c’est une date spéciale

Si vous deviez définir Dominique A en un mot, un adjectif…
Drôle. Contrairement à l’image que l’on peut se faire de sa musique, c’est quelqu’un qui a énormément d’esprit et avec qui on rigole toujours…

Propos recueillis par Greg Bod
Photos – Greg Bod

Un grand merci au personnel de La Carène, Juliette Bonheme et Yannick Martin en particulier, pour leur accueil toujours parfait.