En attendant Bojangles – Olivier Bourdeaut

Succès immense de librairie cette année, ce premier roman d’un inconnu édité de manière confidentielle intrigue : que vaut donc cette petite chronique familiale sur l’amour et la folie ?

Bourdeaut

L’unanimité joviale autour d’un roman m’effraie un peu. Devant la masse de livres édités, l’engouement que suscite une oeuvre, issue d’une édition peu connue, et loin des succès de librairies classiques type Musso et ses comparses, est souvent un peu suspecte. Le dernier en date était Puertolas et son fakir coincé dans une armoire Ikéa, heureuse surprise mais qui ne fut pas confirmée par la suite de ses écrits. Ici, c’est donc le même schéma qui se produit, et qui m’a intrigué et conduit à le lire pour deux raisons factuelles : le succès inespéré d’abord, et la référence au magnifique morceau Mr Bojangles de Nina Simone, la plus grande chanteuse que la Terre ait connue – ça, c’est pour l’avis totalement objectif.

Qenattendantbojanglesuelles sont donc les clés du succès de ce premier roman d’Olivier Bourdeaut ? Je ne les ai pas trouvées, en fait. Par contre, de nombreux éléments permettent de comprendre ce qui a pu plaire au lecteur, et qui fait d’ailleurs du livre son (unique) qualité : l’auteur arrive à dépeindre l’existence d’une famille hors-norme de manière concise, et à faire exister ses personnages en peu de pages, chose inaccoutumée en littérature où on adore tartiner sur des pavés des vies remplies d’anecdotes plus ou moins intéressantes, des romans-fleuves qui nous tombent souvent des mains. La faveur de la concision qui va droit aux sentiments, bon point pour En Attendant Bojangles.

Par contre, la dithyrambe médiatique qui a suivi sa parution interroge. Car au final, ce récit (vu par l’enfant) d’un couple excentrique et de la chute de la maman vers la folie – au sens clinique du terme – reste quand même très anecdotique, banal. Et donc sa faiblesse : quand d’aucuns voient en Bourdeaut un nouveau Boris Vian, il conviendrait de rappeler que l’auteur de l’Ecume des Jours proposait une écriture hors-normes pour dresser le portrait de ses personnages eux aussi hors-normes. Folie des protagonistes, folie de l’oeuvre, folie de son auteur, comme une mise en abyme de l’excentricité. Je vois plutôt Anna Gavalda en référence, soit une écriture sympathique mais extrêmement classique, accessible, sans éclat pour décrire des situations qui le sont beaucoup plus.

Par ailleurs, Bourdeaut aurait pu rester dans une dichotomie entre le regard amoureux et neutre de l’enfant sur ses parents doux-dingues comme figures de la normalité en huis-clos, comme il le fait si bien dans son premier tiers, mais la suite met une distance dans son univers alternatif, et le couple parental devient donc un cas d’école qu’on étudie, avec une issue fatale. Et cette fatalité, qui cueille forcément le spectateur, « obligé » d’aimer et d’être dans l’empathie du malheur qui s’abat sur ces gens qu’on nous a demandé d’adorer depuis le début, est assez désagréable et factice. La fin est maligne, à la fois singulière mais attendue, tant on imaginait bien que, comme dans certains films, la chute rude doit rester la plus tendre possible pour conclure l’oeuvre avec le coeur serré et le sentiment satisfait d’avoir lu/vu une belle chose.

Au final, En Attendant Bojangles est un roman « sympathique » oui, au succès compréhensible mais qui reste toutefois un peu douteux, ou alors c’est l’époque où le buzz simple qui fait du bien est de mise, sans s’attarder sur les réelles qualités intrinsèques d’une oeuvre. Enfin, trop peu de Nina Simone dans le livre, comme une frustration en bout de course…

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Jean-François Lahorgue

En attendant Bojangles
Roman français de Olivier Bourdeaut
Editeur : Finitude
160 pages, 15 €
Date de parution : 2016