5+5 = Pierre Bessero

Il a joué et chanté avec Marie il y a quelques années et vient de sortir en 2016 un album solo. C’était le moment ou jamais de le faire parler sur ses disques favoris.

pierre bessero

Après quelques années d’un silence inhabituel (le dernier disque de Pierre & Marie remonte à 2011), Pierre a sorti en solo un nouvel album, Secret songs, disponible sur sa page Bandcamp. Ce 5+5 fait une esquisse de ses goûts et peut-être aussi un portrait en creux de sa musique…

5 disques du moment :

Deerhoof : The magic (2016)
Quel plaisir que d’écouter le nouvel album de Deerhoof, un groupe à la fois familier et étonnant. On peut y aller à l’infini avec ce genre de couples d’adjectifs, tant leur musique est l’alliance de contraires : riffs virils et chant enfantin, complexité rythmique et évidence mélodique, goût de l’expérimentation et immédiateté pop…

Aphex Twin : Computer controlled acoustic instruments part 2 (2015)
Une de mes idoles (je me coiffe comme lui). Comme son nom l’indique, cet EP sorti l’année dernière contient des morceaux pour piano programmable (le modèle fabriqué par Yamaha s’appelle « Disklavier », il s’agit d’un piano « normal » mais où les marteaux peuvent être commandés par ordinateur via un système d’électro-aimants). Ce disque est un peu la suite des pièces qu’on trouve dans le génial double album « Drukqs » de 2001. Sauf qu’en plus du piano, il y a de la batterie robotisée.
Il est précisé explicitement sur le vinyle qu’il peut s’écouter en 33 ou 45 tours. Je n’ai pas de platine vinyle donc au début j’écoutais le CD sur lequel il n’y a que la version « lente », et j’étais déçu, je trouvais que c’était un peu ennuyeux, mais en accélérant le playback de 35% le disque prend vie, il devient nettement plus dansant, et tout est révélé en quelque sorte. Et finalement ces versions rapides nourrissent l’écoute des versions lentes, avec lesquelles on peut ensuite avoir un rapport et un plaisir plus analytiques.

Autechre : Elseq 1-5 (2016)
Je n’aime pas trop les premiers albums de Autechre (disons avant « LP5 ») que je trouve plutôt embêtants mais j’adore quasiment tout ce qu’ils ont fait dans leur deuxième et troisième périodes, qu’on pourrait appeler respectivement « transitoire » et « compliquée ». Leur nouvelle sortie est gigantesque, 4 heures de musique divisées en 5 parties. Je n’ai pas encore fait complètement le tour de la maison (ou de la ville, ou de la galaxie) mais j’aime déjà énormément le premier volume. Souvent, dans la période « compliquée », leurs musiques sont indéchiffrables à la première écoute, mais tout prend sens au bout d’un moment. Soudain un truc qui semblait austère et imbuvable devient absolument jouissif. Ce plaisir, qui provient de la familiarité avec une œuvre, privilège que l’on gagne au fil du temps, est une chose que j’aime beaucoup.

Gal Costa : Cantar (1974)
Un classique seventies de la MPB (musique populaire brésilienne) que j’ai découvert récemment. Du coup j’ai eu un accès de boulimie de Gal Costa, mais je n’ai pas trouvé d’album qui me plaise autant (à part peut-être « India », 1973). Dans l’écriture comme dans les arrangements il y a une sophistication proche de ce qu’on peut entendre à la même époque dans un certain rock californien. Mais les rythmes sont mieux ! Et le portugais est la plus belle langue du monde.

Pierre : Secret songs (2016)
Je ne sais pas si c’est très habituel ni même bienséant dans un 5+5 de parler de son propre disque, mais je vais m’autoriser ce petit caprice. Les morceaux de l’album (sauf un) ont été écrits il y a assez longtemps, je devais les sortir avec mon groupe Pierre & Marie, dans lequel jouait mon ex-épouse. A l’époque, pour changer un peu, on avait eu envie d’enregistrer les morceaux live, en formation acoustique, mais le résultat ne me plaisait pas. Je n’ai conservé qu’un morceau de ces sessions (le premier, qui est d’ailleurs un morceau guitare-voix où je suis en solo) et j’ai réarrangé et réenregistré le reste. L’album a une couleur plus synthétique que ce qui était prévu au départ.

5 disques pour toujours :

Koechlin / Henck : Heures persanes (1986)

A part faire des chansons je joue pas mal de piano. C’est d’ailleurs compliqué de faire les deux, il faut en plus avoir « un vrai travail » pour gagner de l’argent, ce qui fait que je manque de temps… Au piano, je travaille exclusivement des morceaux de musique classique, « le grand répertoire » comme on dit. Plein d’Allemands. J’en écoute aussi beaucoup.
Koechlin n’est pas du tout allemand, c’est un compositeur assez méconnu de ce qu’on appelle « l’Ecole française » (dont les tenants les plus fameux sont Debussy et Ravel). Les « Heures Persanes » forment un cycle de 16 pièces, hypnotiques et propices à la contemplation. Il existe une version pour orchestre mais la version originale a été écrite pour piano seul, et elle a ma préférence, particulièrement dans cet enregistrement du pianiste Herbert Henck. J’adore les titres des morceaux : « Sieste », ou « La caravane (rêve, pendant la sieste) », ce genre de choses.

Soundgarden : Down on the upside (1996)
Un ami m’a récemment fait remarquer que ce disque est sorti il y a 20 ans. Pour un collégien d’aujourd’hui c’est aussi lointain que pour moi à leur âge « Abbey Road », ce qui laisse songeur. C’est sûrement un peu ringard de nos jours, en plus cet album a l’inconvénient de pousser à l’ombre du monumental « Superunknown » qui le précède, mais il est presque aussi bon, et une fois qu’on est familiarisé avec le décorum hard rock (ou plutôt « grunge tardif »), et qu’on a assimilé les feulements virils de Castafiornell, on peut se délecter de chansons complètement tordues où de séduisants mais traîtres riffs habillent des rythmes sophistiqués.
Et puis un mot sur leur comeback de 2012 (« King Animal ») qui n’est pas mal du tout non plus, un peu comme le comeback de My Bloody Valentine : on a l’impression que rien n’a changé, c’est à la fois triste et beau.

Scarlatti / Pogorelich : 15 sonates (1992)
Ce disque est assez atypique dans le répertoire plutôt « romantique » de ce pianiste. Pogorelich était une star dans les années 80-90 (dans le petit monde du piano classique s’entend). C’est un de ses meilleurs albums (ils sont tous super, de toute façon il y a un coffret intégral).
Pour l’anecdote, Pogorelich a une histoire tragique assez romanesque : il s’est marié jeune avec sa prof (beaucoup plus âgée que lui), elle a été son mentor pendant toute sa carrière, mais elle est tombée gravement malade, et il n’a plus rien enregistré après son décès. Il donne encore des concerts.
Domenico Scarlatti est le fils de Alessandro, qui est peut-être plus connu parce qu’il a écrit des opéras. Le fils a écrit des centaines de « sonates » pour piano ; à l’époque (baroque, première moitié du XVIIIe) le mot n’a pas encore le sens « classique », il désigne une courte pièce musicale. Les siennes sont très inventives, pleines de surprises. L’interprétation de Pogorelich est hallucinante de précision rythmique et contrapunctique ; et puis c’est un disque très joyeux.

Haydn / Gould : 6 dernières sonates (1982)
Un des derniers albums de Glenn Gould, qui est peut-être le pianiste le plus connu par le grand public. En tous cas c’est sans conteste l’interprète de Bach au piano le plus célèbre, mais il a enregistré les œuvres de plein d’autres compositeurs. Haydn, c’est un peu comme Scarlatti, une musique souvent joyeuse et pleine d’humour. Sauf qu’ici (fin du XVIIIe) la sonate est devenue un genre de morceau en plusieurs parties, à la structure très codifiée.
L’interprétation de Gould est assez excentrique ; c’est elle qui m’a fait vraiment aimer Haydn, qui est un peu le parangon du classicisme, et qui peut être très ennuyeux sous d’autres doigts. C’est excentrique dans le jeu, parce que c’est très « motorique », voire mécanique, avec des tempos vraiment très rapides, et aussi excentrique dans la prise de son : souvent il y a beaucoup d’aigus et peu de basses dans les disques de GG, il y a un parti-pris de sécheresse, ce n’est pas un beau son de piano confortable. Avec le temps le maniérisme gouldien a tendance à me fatiguer et je préfère écouter des interprètes au jeu plus « standard », mais ses enregistrements m’ont pas mal ouvert les oreilles.

Chad VanGaalen : Diaper island (2011)
Je me rends compte que la musique que j’écoute (du moins celle dont je parle dans cette playlist) n’a pas forcément de lien très étroit, au moins stylistiquement, avec celle que je fais (qu’on peut pour faire vite ranger dans le tiroir indé-lofi-folk-etc). Corrigeons cette aberration avec un super album de Chad VanGaalen, qui a la stature d’un classique d’aujourd’hui. Franchement, Chad vaut bien Neil Young. En plus drôle.

Pierre – Secret Songs

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