cinéma

La Tourneuse de pages de Denis Dercourt

[2.0]

 

 

C’est bien connu : la vengeance est un plat qui se mange froid. Pour Mélanie, compte tenu de l’écart de temps entre l’acte motivant le désir de se venger et la concrétisation de ce dessein, en clair le temps du passage de l’enfance à l’âge adulte, on est proches du glacial. La petite Mélanie est une apprentie pianiste appliquée et prometteuse, qui prépare avec le soutien de parents aimants et bouchers, le concours d’entrée au Conservatoire. La désinvolture impolie de la présidente du jury, la pianiste de renom Ariane Fouchécourt, signant un autographe en plein milieu de l’examen de Mélanie,  déstabilise celle-ci, la fait échouer et renoncer à poursuivre l’apprentissage de l’instrument.

Des années plus tard, à l’issue de ses études, Mélanie effectue un stage dans un cabinet d’avocats dirigé par le mari de Ariane, à la recherche d’une personne pour veiller sur son fils Tristan et seconder son épouse. Mise en présence de celle qui causa l’arrêt de sa pratique du piano, Mélanie gagne sa confiance, devient sa tourneuse de pages et tisse sa toile autour de la famille Fouchécourt.

 

La question sur laquelle bute tout spectateur un tant soit peu cartésien est de savoir si Mélanie a prémédité ses actions ou si seul le hasard la remet en présence de la concertiste et lui fournit ainsi les motifs et le contexte idéal. Même si on accepte que l’attitude déplacée et méprisante de Ariane ait pu largement contribuer au destin de Mélanie, on a cependant un peu de mal à imaginer que la jeune fille ait grandi avec un tel fardeau et auquel cas, l’intention de se venger n’aurait pu être soumise à un tel concours de circonstances aléatoires.

Cette principale invraisemblance relevée, reste à se pencher sur la qualité intrinsèque de La Tourneuse de pages, et plus précisément de son cœur, soit la confrontation directe entre Ariane et Mélanie dans un jeu étrange et surprenant du chat et de la souris. D’ailleurs, la mise en situation (concours et stage chez l’avocat) prend beaucoup de place pour un format resserré, qui empêche tout développement du pas de deux où s’emmêlent fascination, séduction et manipulation. Dans cette grande maison bourgeoise au milieu d’un parc arboré propice à toutes les cachettes, au sous-sol de laquelle se trouve une piscine angoissante, on s’attend à ce que le réalisateur en utilise tous les ressorts pour distiller anxiété et suspense. Manifestement, il n’opte pas pour ce terrain-là, n’exploitant pas l’interprétation hitchcockienne de Déborah François, qui manie les couteaux et la pique de violoncelle avec une dextérité surprenante. L’attirance amoureuse qu’éprouve soudain Ariane pour Mélanie déconcerte, car rien ne laisse présager de la part de la grande bourgeoise installée, certes fragilisée par un accident de voiture qui remit en question sa carrière, une telle inclinaison.

 

Denis Dercourt met en scène avec précision et sans tape-à-l’œil un univers en vase clos, celui bien sûr de la famille Fouchécourt, dont les errements auraient pu inspirer Chabrol, mais aussi celui tout aussi fermé et codifié des musiciens que le cinéaste connaît très bien. Cette revanche, qu’elle soit ou non préméditée, se double de l’opposition entre deux milieux sociaux mais souffre d’un traitement sage et peu dérangeant, là où il aurait fallu être vénéneux et plus cynique. C’est pourquoi La Tourneuse de pages, qui ne présente aucun défaut de fabrication et du même coup aucune aspérité, ravira le public du samedi soir, banalement émoustillé.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 25 – Sortie le 09 Août 2006

Avec Catherine Frot, Déborah François, Pascal Greggory