cinéma

El cielito de Maria Victoria Menis

[4.5]

 

 

    La pampa argentine – très en vogue après Nordeste - défile d’abord sous nos yeux dans son immensité, puis la caméra prenant du recul, encadre la fenêtre d’un train dans lequel voyage Félix, jeune vagabond de vingt ans. Ces cadres rectangulaires ponctueront d’ailleurs El Cielito. Lorsque le contrôleur se présente dans le wagon, le fraudeur Félix prend la fuite, saute du train et échoue dans un petit village tanné par le soleil. Dans la gare qui fait office de bar, digne des meilleurs westerns, il fait la connaissance de Roberto qui en échange du gîte et du couvert lui propose d’aider sa femme Mercedes aux récoltes.

Dans cette ferme isolée, au milieu d’une nature luxuriante, Félix vient compléter le trio mal assorti, constitué par le couple et Chango leur petit garçon. Félix ressent rapidement une tension sourde qui oppose Roberto fruste, alcoolique et violent à Mercedes soumise et craintive. Le jeune homme débarqué de nulle part dont on apprend au fil de rares dialogues qu’il est orphelin élevé par sa grand-mère et qu’il pratiqua la boxe se prend d’affection pour Chango bébé délaissé par ses parents.

La dégradation du climat familial entraînant la fuite de Mercedes et la violence redoublée de Roberto amène Félix resté jusqu’à présent témoin impassible sinon pacificateur à quitter la ferme avec ses maigres bagages et Chango en destination de la ville.

 

    Avec El Cielito, Maria Victoria Menis signe un premier film tout à fait remarquable. Sur un sujet propice à tous les sentimentalismes : la rencontre extraordinaire de deux laissés-pour-compte, la réalisatrice choisit un traitement naturaliste et sobre, dégageant une émotion poignante et revêtant presque un aspect documentaire. El Cielito est un film sur le don de soi et la possibilité d’une rédemption. Félix, pour donner un sens à sa vie, décide non pas de prendre en charge la sienne, qui semble peu lui importer, mais au contraire celle d’un bébé qui, par ses sourires innocents, lui offre un amour dont il a été toujours privé.

La première partie de El Cielito se déroule à la campagne et magnifie une nature omniprésente à travers les ciels, les animaux, l’eau et la terre ocre. En cela, on pense beaucoup à un autre film argentin sorti fin 2004 Los Muertos, retour bucolique d’un prisonnier vers son village. Dans les deux cas, les paysages, à la fois majestueux et inquiétants, composent un décor envoûtant. La cinéaste opte pour de larges plans statiques dans lesquels ses personnages sont réduits à de petites figures.

A l’inverse, la grande ville qu’atteignent Félix et Chango dans la seconde partie apparaît bien plus agressive par ses bruits incessants, sa pollution et ses dangers. Une ville dans laquelle la survie passe par la violence et les petits trafics que Maria Victoria Menis montre comme une conséquence d’une société argentine en crise où chacun est livré à soi-même et qu’elle filme cette fois caméra sur l’épaule.

Le seul lien qui relie les deux univers est le fleuve, celui où Félix aimait à rêvasser quand il était chez Roberto, celui qu’il franchit avec Chango dans les bras lorsqu’il suit un gamin des rues qui scellera son destin.

 

    El Cielito est un hommage à tous les vulnérables et les rejetés d’un système en faillite mais l’union d’un jeune homme de vingt ans déjà survivant, sans attaches et vagabond et d’un bébé innocent offre soudain une belle espérance. C’est cette association surprenante qui emporte l’adhésion pour ce très beau film tourné dans des conditions difficiles.

 

Patrick Braganti

 

Film Argentin – 1 h 33 – Sortie le 8 Juin 2005

Avec Leonardo Ramirez, Monica Lairana, Dario Levy

 

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