cinéma

Il est plus facile pour un chameau... de valeria Bruni Tedeschi     

 

Pour 1/2

 

    La famille Bruni-Tedeschi est bienheureuse. Un sœur cadette mannequin qui réussit un "coming out" de troubadour grand public et l’aînée, actrice ès cinéma d’auteur, qui échange son savoir-faire pour celui d’auteur-réalisatrice.

Bienheureuse famille Bruni-Tedeschi : réussite, efficacité, beauté et argent, sans doute.  En gagner, en hériter, en faire… Des réflexions sur un mode de vie qui ont du nourrir l’écriture de Valeria Bruni-Tedeschi, au moment de passer à la mise en scène.

Car c’est la relation à la richesse qui sert de thème central au premier essai de Valeria : son opus prend d’ailleurs pour thème la phrase de la bible qui prétend que les chances d’un riche d’accéder au paradis sont aussi minces que celles d’un chameau à passer au travers du chas d’une aiguille.

 

    Federica, personnage principal et double probable de la réalisatrice, est riche. Elle le vit mal. Son aisance attire forcément l’ironie d’une partie de son entourage et l'empêche de composer sa vie d'adulte telle qu’elle l’entend . Son opulence la rend tout bonnement incapable d'assumer son quotidien, qu’elle croit déformé par son rapport désolé à l’argent. Federica "bloque" invariablement  devant tout ce qui nourrit -ou pourrait nourrir- notre vie à tous. Elle subit les attentes de son fiancé (Jean Hugues Anglade) qui voudrait fonder une famille. Elle ne sait comment envisager les exigences imposées par le retour inattendu d'un ancien amant (Podalydès), ou comment régler les conflits internes d’ une famille « dorée » (Mastroianni, Wilson), déstabilisée par la longue maladie d’un père singulier.

Accablée par son cerveau en constante ébullition et par le fossé pavé de pièces d’or qui la sépare de ce qu’elle se verrait bien être, Federica ne trouve même plus le réconfort dans sa confession régulière au curé/psychologue de la paroisse, ni d’ailleurs  dans son propre monde intérieur.

 

    Derrière la caméra, Valeria Bruni-Tedeschi transforme l’essai de  manière intéressante. Elle est une réalisatrice crédible, une scénariste de comédie véritable. Le film pêche pourtant par quelques longueurs et l’absence d’un déroulement narratif « romanesque». On regrette que la réalisatrice n’ait pas apporté plus de soin à une histoire, ici absente, dont le manque finit par lasser au fil des minutes. Dommage. Voilà pour l’ombre à porter au tableau. Heureusement, le récit est construit comme une série de scènettes reliées entre elles par le fil rouge familial et la maladie croissante du patriarche. C’est au cours de ces scènes de la vie quotidienne vue par la lorgnette de la scénariste que l’on trouve le plus de plaisir. On rit souvent devant le ridicule en demi-teinte de certaines discussions, devant le pathétique exagéré, de certaines situations. On pense parfois aux réflexions de Monsieur Jean, la BD de Dupuy et Berbérian, et aussi, très souvent, à l’atmosphère du cinéaste américain Hal Hartley époque Trust ou Unbelievable truth dans la description absurde de certaines phases du quotidien.

 

    On sort de la salle un petit sourire aux lèvres, ce n’est déjà pas si mal, et on guettera attentivement les prochaines réalisations de la plus italienne des réalisatrices françaises en espérant qu’elle gomme les petites faiblesses de ce premier opus plutôt réussi.

 

Denis

 

 

Contre

 

    Il n’est pas exagéré d’écrire qu’en ce moment les sœurs Bruni ont le vent en poupe et la  faveur assez complaisante des critiques. Cette hype provient essentiellement de la sortie du disque de la belle Clara, puisque il y a déjà belle lurette que sa sœur ainée sévit dans le milieu du cinéma.

Si effectivement le cas de la benjamine peut être assez vite traité – nous avons affaire ici, me semble t-il à une artiste surestimée qui n’a produit qu’un disque moyen, lisse et tellement mainstream -, celui de Valéria est sans doute bien plus intéressant, parce que moins formaté, probablement plus riche.

 

    Valéria, c’est vrai que je l’ai tout de suite aimée comme actrice, dans ses rôles de fille perdue, un peu folle, une sorte d’électron libre comme elle l’était dans Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, de Laurence Ferreira Barbosa. Et c’est vrai aujourd’hui que j’ai toujours du mal à dissocier son rôle de ce qu’elle semblerait être dans sa vraie vie de tous les jours. Sans doute, à tort…

Mais bon reconnaissons que la filmographie de Valéria étaye pas mal cette première et durable impression : vue chez Patrice Chéreau, elle a aussi pas mal partagé sa carrière d’actrice entre la France et l’Italie.

Aujourd’hui, elle nous livre son premier film fortement autobiographique, ou l’histoire d’une jeune femme très riche Federica, qui peine à trouver sa place et sa raison d’être entre un mari qui lui reproche sa situation de nantie, le retour d’un ancien amant et enfin une famille à la fois soudée et déchirée autour du père moribond et qui en conséquence se réfugie souvent dans des mondes imaginaires comme l’écriture notamment.

 

    Entourée d’une pléiade d’acteurs amis-tribu-famille : Chiara Mastroianni, Jean Hugues Anglade, Denis Podalydès, mais aussi sa propre mère, Valéria est omniprésente dans ce film forcément personnel, mais aussi décousu et assez déstabilisant.

Il exploite beaucoup de veines différentes : famille, amour, travail mais en donnant une impression de superficialité, comme si elle ne souhaitait pas aller trop loin. Le rythme du film chaotique est souvent rompu par des interludes animés ou chantés, dont j’avoue ne pas avoir toujours saisi ni l’intérêt ni l’utilité. Il semble que toutes les clefs ne soient pas livrées et souvent j’ai regardé cette histoire avec beaucoup de détachement, comme un étranger qu’on ne souhaite pas inviter à la réunion familiale.

 

    Bien sûr, ce n’est pas un film raté, loin s’en faut. Il y a ici un scénario, une mise en scène et une direction d’acteurs, même si je trouve que ces acteurs de la mouvance Desplechin finissent par toujours jouer sur les mêmes registres.

Sans doute ne faut-il pas être trop cartésien pour apprécier à sa juste valeur la première œuvre de Valéria Bruni-Tedeschi, mais au contraire accepter de se laisser promener dans des contrées fortement colorées d’imaginaire.

Parfois, j’avoue aussi avoir pensé aux films de Rivette ou Rohmer car, là aussi, nous sommes dans des milieux très intellectuels, peu avares de leurs discours nombrilistes et existentiels.

Au final, si on ne peut nier le vrai regard et un réel talent de l’actrice-réalisatrice, ce film est avant tout très personnel aussi bien dans ce qu’il nous raconte que dans son propre traitement, ce qui peut évidemment ne pas provoquer l’adhésion des spectateurs, dont j’ai le regret de faire partie.

 

Patrick