cinéma

In her shoes de Curtis Hanson 

[4.0]

 

 

    La notion d’auteur est terriblement relative et ce depuis que l’homme est homme et... Jésus Jésus ! Le mot même d’auteur a été créé pour désigner ceux qui contrairement aux évangélistes avaient jugé bon d’ajouter leur propre vision des faits bibliques, de les commenter. Auteur = ajouteur.

On sera surpris de ce préambule pour analyser en quelques coups de sabots le dernier film de Curtis Hanson In her shoes, métaphore simpliste telle qu’Hollywood les aime et les façonne, mais aussi portrait moins simplet qu’il n’y paraît du passage des générations. 

    Passons sur l’accroche initiale (deux soeurs, l’une blonde, l’autre brune, la première instable et futile, la seconde carrée et méthodique, se disputent inlassablement depuis l’enfance et se réconcilient lors du mariage de la seconde) pour évoquer quelques moments forts.

On sait à quel point Curtis Hanson brille par son sens de l’exposition. Que ce soit dans l’excellent Wonderboys, dans L.A. Confidential (brillant quoiqu’un peu surfait) ou dans La main sur le berceau (thriller très réussi sur l’enfantement, et qui mettait déjà aux prises une brune et une blonde), le réalisateur parvenait à déjouer les codes du grand spectacle américain -auxquels de toutes manières, un cinéaste travaillant pour une “Major” n’échappe pas plus qu’un ingénieur auto bossant pour Peugeot- en instillant des tempos déroutants.

 

    Mais revenons à In her shoes. Si la descriptions des deux sœurs -Maggie et Rose- est solide, c’est quand même de l’entre-deux, des moments où le scénario bien huilé baisse pavillon que surgit l’intérêt. Il flotte un parfum de rédemption (comme dans 8 Mile) et d’infinie compréhension pour les fautes et errements de l’être humain. Bien sûr, on pourra sourire de la séquence où Cameron Diaz, après s’être incrustée de longs jours chez sa sœur, se rue à New York afin de passer une audition pour M.T.V. Mais la paralysie qui s’empare de la “blondasse” devant l’écran video lors de sa séance d’essai est crédible et troublante. A l’heure de certains films français comme Backstage ou Au suivant, on se fera humble en admettant que, même dans la futilité, le cinéma américain sait y faire. Comme le faisait remarquer le chanteur William Sheller il y a quelques années, en évoquant la qualité des video-clips hexagonaux : “Ca craint !”.

In her shoes ne craint pas. Et le visage de Diaz se décomposant face au prompteur qu’elle ne parvient pas à lire en cadence, pourrait refroidir de nombreux aspirants à la TV-réalité.

    Le film semble constitué de deux blocs plutôt distincts, comme deux tomes d’une même saga.

Au bout d’une heure (le film dure 2h13), on se sent de plus en plus endimanché dans une chronique à la “Marie-Claire” qui, même si elle est bien visée (les tentatives de Tonie Collette-Rose pour quitter le monde du business, la frivolité intellectuelle de Cameron Diaz-Maggie érigée en style de vie)
on se dit que ce film pourrait durer encore longtemps ou s’arrêter sous peu. Le syndrome “Friends” (un des feuilletons les plus niais de la télé moderne, on s’en rendra vite compte) 
semble devoir frapper.

C’est alors que survient la bifurcation : Maggie retrouve de vieilles lettres écrites pour elles par sa grand-mère et que ses parents avaient interceptées, cachées. La trentenaire sans attache se découvre alors “petite fille de”, et part à Miami découvrir son aïeule. Celle-ci -superbement incarnée par Shirley Mac Laine-vit dans une “ville” de seniors, certes caricaturale, mais tout à fait en phase avec le propos d’un film qui cherche à dévoiler l’envers du décor. On y voit des septuagénaires occupant leur temps de manière intensive, comme si le quatrième âge devait être celui de la résilience (Mac Laine est entravée par le deuil et les difficultés avec sa famille) plutôt que celui de la résignation.

 

    On pense que Maggie est venue “taper” sa grand-mère, et cette dernière n’est pas dupe. Elle accepte sa petite-fille, les secrets de famille se dévoilent, et la jeune farfelue (qui croit toujours en son destin d’actrice) accepte pour patienter un job au noir dans un hôpital. Là, elle croisera un vieux monsieur aveugle, ancien professeur de lettres, qui la mettra au pied du mur en lui demandant de lui faire la lecture. Après un refus, puis un bafouillement, qui font écho au casting pour M.T.V, Cameron Diaz (actrice sous-estimée) lira clairement quelques lignes d’un ouvrage où l’on apprend que “L’art de se perdre n’est pas si difficile à maîtriser”.

La séquence où, quelques jours plus tard Maggie, pimpante, débarque dans la chambre du vieil homme pour une nouvelle séance de lecture et se retrouve face à un lit vide et à la mort, est un moment intense.

Curtis Hanson est à ranger du côté des esthètes que la machinerie commerciale ne parvient pas à étouffer. Incapable de faire un film dénué d’intérêt, ne serait-ce que par son approche de la lumière et du cadre, il est au cinéma actuel ce qu’était Hitchcock il y a 30 ans. Un auteur...

 

Pierre Gaffié

 

Film américian – 2h10 – Sortie le 16 novembre 2005

Avec Cameron Diaz, Toni Collette, Shirley MacLaine, Mark Feuerstein, Brooke Smith...

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