cinéma

J’attends quelqu’un de Jérôme Bonnell

[4.0]

 

 

De Jérôme Bonnell, jeune réalisateur talentueux en train de tracer un joli et personnel sillon dans le paysage cinématographique français, nous avions déjà beaucoup aimé Le Chignon d’Olga (2002), chronique délicate, sombre et lumineuse d’un milieu familial ordinaire et d’une amourette en gestation.

Par la suite, nous fumes plus dubitatifs sur Les Yeux clairs (2005), dérive féerique d’une gentille asociale bien résolue à trouver sa place sans abandonner sa part d’enfance.

 

J’attends quelqu’un marque un franchissement supplémentaire dans la jeune carrière du cinéaste, ne serait-ce que par un casting ouvert à des pointures manifestes (Darroussin et Devos), même si le noyau dur de la sphère Bonnell (Boutefeu dans des apparitions fugaces et burlesques, Citti) n’a pas été atomisé. En arrivant à maturation, l’œuvre de Jérôme Bonnell ne renie en rien ses fondamentaux. Donc, il est logique de croiser dans J’attends quelqu’un des trajectoires chaotiques et riches en péripéties qui relient cinq personnages principaux : Louis, un cafetier divorcé qui entretient une relation suivie avec Sabine, une prostituée ; Agnès, sœur de Louis et institutrice, mariée à Jean-Philippe, un journaliste inquiet et hypocondriaque ; et Stéphane, un jeune homme de retour dans la ville, sans doute le personnage le plus secret et le plus sombre du film.

 

Le destin des cinq s’ébauche devant nous, donnant même l’impression de s’inventer au fur et à mesure des scènes. C’est sans doute la grande qualité du cinéma de Bonnell, celle qui consiste à laisser le maximum de liberté à ses acteurs et à ses techniciens tout au long de plans-séquence où la caméra se fait la plus discrète possible. J’attends quelqu’un semble ainsi s’inventer plan après plan, échappant du coup à sa fiction obligée pour explorer les territoires interstitiels de personnages qui, derrière une attitude apparemment lisse, laissent percevoir leurs blessures secrètes. Jérôme Bonnell excelle à nous faire passer du rire aux larmes, de l’euphorie à la gravité, ces sautes d’humeur pas seulement inscrites dans la juxtaposition des scènes, mais aussi propres à chacun. Rien n’est ici acquis. Celui que sa sœur n’a jamais vu verser une larme, même au retour des visites éprouvantes auprès de leur mère atteinte d’alzheimer, finit par craquer dans une scène d’une simplicité désarmante que le cinéaste installe dans une durée qui permet justement la naissance de l’émotion. Celle qui mène sa vie avec autorité et volontarisme, épanouie auprès d’un mari gentiment dominé, est ébranlée par une caresse furtive d’un jeune homme visiblement déboussolé.

 

A l’opposé exact d’un François Ozon qui dissèque ses créatures avec l’appétit vorace d’un ogre entomologiste, Jérôme Bonnell continue à promener le même regard sentimental, tout en finesse et sans stigmatiser qui que ce soit, à l’instar de Sabine par exemple jamais désignée par son métier. Plus qu’aux soubresauts de leur existence, le jeune cinéaste s’intéresse avant tout aux personnes à qui il offre toujours une porte de sortie, soit par un départ plus ou moins assumé vers des horizons réputés meilleurs, soit par le simple fait de pénétrer à l’intérieur d’un café devant lequel on est passé si souvent sans s’y arrêter. Nullement triste ou pessimiste en dépit d’une peinture sans pathos des solitudes modernes, J’attends quelqu’un a aussi le grand mérite de miser sur l’intelligence de son spectateur, chargé à son tour d’inventer les possibles de ses personnages. Avec ce troisième opus, Jérôme Bonnell confirme tous les espoirs placés en lui et s’installe en cinéaste de la profondeur et de la mélancolie.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 36 – Sortie le 21 Mars 2007

 

Avec Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca, Florence Loiret-Caille, Sylvain Dieuaide